« Tu n'as pas ta place ici.»
(Pendant un instant, je crois avoir mal compris.)
« - Pardon ?
- Tu n'as pas ta place ici, en cuisine. »
(J'avais bien entendu, mais je ne comprends toujours pas ce qu'il veut dire.)
« Qu'est-ce que tu dis ? Pourquoi je n'aurais pas ma place en cuisine ?
- Parce que tu es une FILLE ! »
La réponse frappe et blesse, comme une gifle en plein visage.
Je suis tellement abasourdie que je me retrouve à court de répartie.
Nous sommes au XXIè siècle, et je fais face à cet homme des cavernes : Yves, commis de cuisine, pour qui le « sexe faible » n'a rien à faire en cuisine. J'aurais aimé que vous entendiez tout le mépris, tout le dédain qu'il a réussi à mettre dans la prononciation du mot « FILLE ».
J'ai 21 ans. Je suis élève en BTS hôtellerie-restauration. Je suis actuellement en stage dans un prestigieux restaurant parisien. A l'avenir je souhaite devenir chef de cuisine. Et… ah oui ! Je suis une fille.
Toujours estomaquée par sa réponse je réussis à articuler un semblant de contre-attaque :
« Et chez toi, c'est ton père qui fait la cuisine peut-être !? »
Voilà. Il a réussi à me mettre de mauvaise humeur.
Pour lui, les femmes peuvent faire la cuisine à la maison mais pour le reste c'est un métier d'hommes…
Je suis bien consciente que la cuisine professionnelle en France est une histoire qui s'écrit au masculin, mais ce métier a évolué et les mentalités doivent en faire autant. Les femmes ne se cantonnent plus à la cuisine domestique. Elles sont de plus en plus nombreuses à revêtir la tenue professionnelle et la fameuse toque du cuisinier. Les conditions de travail en cuisine ont longtemps été rudes mais à ceux qui utilisent cet argument pour discuter la place des femmes derrière les fourneaux je répondrais que la pénibilité physique liée à ce métier n'est plus ce qu'elle était. En effet, les avancées technologiques ont permis de penser l'ergonomie différemment. Le matériel est plus léger, il existe à présent une panoplie d'outils et de nouveaux matériaux qui permettent une certaine aisance de travail. Le critère de force n'est plus une barrière infranchissable.
Je dois avouer que je suis effrayée lorsque je regarde le long chemin qu'il me reste à parcourir ainsi que tous les obstacles à surmonter avant de pouvoir enfin gagner ma place dans ce monde saturé de testostérone. Les plus farouches ajouteront que c'est un métier dangereux qui n'admet pas les « fillettes ». Ils me pousseront alors gentiment vers la pâtisserie qui est davantage féminisée.
Sachez tout de même messieurs les cuisiniers, commis, chefs de partie, seconds et chefs de cuisine que je ne baisserais pas les bras. Déjà beaucoup de coupures et brûlures à mon actif, sûrement pas assez pour me décourager. Je ferais fi de vos réflexions quant à mon statut de femme. Je suis courageuse, motivée. Je n'ai pas choisi la cuisine au hasard. Loin de moi l'image de rêve qu'en donnent les émissions de télévision. Je connais la réalité du terrain et les contraintes qu'elle implique. Que l'on soit une femme ou un homme, ce métier demande que l'on s'y consacre à 200%. C'est la passion qui nous fait lever le matin, qui nous aide à endosser la pression constante et qui nous fait tenir debout des heures durant. Sans cette passion, sans cette envie de cuisiner, il y a bien longtemps que j'aurais jeté mon tablier et tourné le dos à la restauration.
La passion ne pose pas la question des genres et je vais m'accrocher.
Publié par Amandine Ganichaud en BTS 2e année au lycée des métiers Sainte-Anne de Saint-Nazaire (44)