Jean-Georges Klein : "Je suis quelqu'un qui doute énormément"

Baerenthal (57) Jean-Georges en cuisine et Cathy Klein en salle, le duo frère-soeur, vient de fêter 10 ans de 3 étoiles. 12 en salle, 12 en cuisine, là aussi la parité est respectée. L'osmose est visible. Une cuisine à découvrir dans L'Alchimie des éléments, aux Éditions de la Martinière.

Publié le 12 septembre 2012 à 14:04

S'il ne fallait retenir qu'un plat parmi vos créations ?
Ce serait l'aile de raie au beurre noisette mousseux qui date de 1998. Je suis parti de la raie au beurre noir, qui est l'un des plats les plus indigestes et j'en ai donné ma version. J'ai voulu surprendre avec des dés de vinaigre et une mousse qui la recouvre. On découvre le plat au fur et à mesure, un peu comme ces dégustations dans le noir. On ne sait pas ce qu'on va déguster. J'aime jouer avec les clients. C'est important ce côté ludique.

Le plat que vous auriez aimé inventer ?
Ce n'est pas facile de choisir mais je crois que je vais opter pour la soupe VGE de Paul Bocuse. Je pense toujours aux cinq sens. Envelopper tous les parfums dans une pâte feuilletée hyper fine, c'est une prouesse. Quand on la casse, ça embaume toute la salle, les parfums ressortent et il y a un côté convivial. Nous ne sommes pas encore arrivés au bout de nos recherches sur les cinq sens. En ce moment, je mets au point un dessert qui jouera avec eux. Tout est parti du concours Design et Pâtisserie à Lausanne auquel j'ai participé avec mon pâtissier l'année dernière. Nous avons choisi de raconter une histoire sur la rencontre du chocolat et du café. Ce travail m'a donné envie d'aller encore plus loin en intégrant une tablette et des écouteurs pour que le client prenne connaissance de l'histoire pendant la dégustation. Nous sommes encore en phase de réflexion. Il devrait être à la carte à l'automne.

Le repas le plus éblouissant ?
C'était chez Pierre Gagnaire à Saint-Étienne, en 1993, l'année de sa 3ème étoile. Dans l'assiette, on sentait le mouvement, et gustativement c'était fabuleux. J'étais subjugué. J'en étais à mes tout débuts en cuisine, puisque j'ai passé mes 20 premières années en salle à l'Arnsbourg. Ma mère étant malade, je suis passé en cuisine pour laquelle j'avais toujours ressenti un véritable intérêt. Par exemple, je me suis toujours chargé de l'achat des produits. Chez Pierre Gagnaire, j'ai eu le déclic, dans le sens où j'ai commencé à faire la cuisine comme je la sentais. Petit à petit, la cuisine de dame de ma mère est devenue une cuisine personnelle avec un côté expérimental. Je me souviens d'un plat de gibier qui me faisait penser à un plat de ma grand-mère entièrement revu par Gagnaire. Je me suis dit : et pourquoi pas ?

A l'étranger ?
Mon deuxième déclic ? Ce fut chez Ferran Adrià. Chaque bouchée est une explosion. Pour la concentration du goût, l'expérience Ferran est essentielle. Chez El Bulli, c'est une symphonie, une dizaine d'accessoires, une quinzaine de plats… Je me souviens de la mousse de carotte à la mandarine. Il appelait ça des éponges, mais aussi de sa version du couscous ou de la paella. Il m'a permis de passer quelques jours en cuisine et depuis 1999, tel un pèlerinage, avec ma soeur Cathy, nous nous rendions chaque année chez Ferran. C'était de l'expérimental, de la haute couture pour clients avertis et je revenais à chaque fois avec des envies, des idées. Ce sont surtout les techniques qui m'intéressaient. Je change mon menu découverte intégralement 4 fois par an, à chaque saison. Je réalise une cuisine évolutive mais je fais en sorte de ne pas pousser la complexité trop loin. Ici, ça ne doit pas être trop cérébral.

Ce qui vous agace le plus ?
Pour moi, la phase la plus intéressante du métier, c'est la conception de la carte, 4 fois par an. Ensuite, pendant trois mois, on doit faire en sorte que les milliers de copies soient conformes à l'original. C'est un contrôle constant. Je joue le gendarme deux fois par jour car il faut toujours être là pour tout vérifier et éventuellement rectifier au dernier moment.

Le plus beau compliment ?
Ce sont mes clients habitués qui viennent pour le menu découverte 4 fois dans l'année pour les 4 saisons et ceci depuis plusieurs années et repartent ravis en passant me voir en cuisine pour me le faire savoir.

La critique qui vous a le plus marquée ?
Nous avons eu la troisième étoile en 2002. J'étais très peu connu. J'ai vu arriver la clientèle des 3 étoiles qui, à l'époque, étaient habituées à une cuisine classique. Ils étaient déconcertés par ma cuisine et ils me le disaient lorsque j'allais en salle. Je finissais par me demander si je savais faire la cuisine. C'était très dur pendant les trois premiers mois, d'autant plus que dans le même temps, nous étions en travaux. J'avais une nouvelle cuisine. Il fallait trouver ses marques. C'est Émile Jung qui m'a rassuré en me disant que j'avais ma clientèle d'habitués qui a toujours apprécié ma cuisine et que les autres y viendraient. Il avait raison.

Vous avez travaillé 20 ans en salle avant de passer en cuisine. Cela vous confère-t-il un avantage ?
Oui, je comprends parfaitement les contraintes de la salle. Lorsque des chefs de partie râlent, je leur propose de passer en salle 2 ou 3 semaines pour s'en rendre compte. Chez nous, tous les stagiaires passent obligatoirement en salle.
Tout le monde sait que nous avons un vrai problème de vocation pour les métiers de salle. Il faut les revaloriser en mettant nos directeurs de salle et nos maîtres d'hôtel en avant, remettre des découpages et flambages en salle. Nous avons aussi les déclochages ou l'assiette à deux étages qui donnent du relief au service.
Notre équipe suit un stage de 15 séances avec des gens du théâtre qui leur inculque une gestuelle, une façon de se présenter qui permet une meilleure confiance en soi. C'est elle qui permet que le service soit plus décontracté et qu'il se déroule de façon naturelle. Or il semble que les jeunes manquent de confiance et ont peur de se retrouver devant les clients.

Le secret de la réussite ?
Il faut au minimum un peu de passion et ne pas avoir peur du travail. Choisir de bonnes maisons, en retirer le meilleur. La curiosité et le besoin de se renouveler sont des moteurs importants. Il faut aussi avoir conscience qu'avant de devenir une star de la cuisine à la télé, il y a de longues années de travail et peu d'élus.

Votre plus grand rêve ?
J'aimerais pouvoir me projeter dans 100 ans et voir où en sera la cuisine. Est-ce que le goût primera toujours ou est-ce qu'elle sera très sophistiquée ? Je suis curieux de savoir si on va continuer à préserver les produits. On n'a pas encore utilisé tous les côtés tactiles en cuisine. Manger avec les doigts dans un 3 étoiles, pourquoi pas ? Manger un poisson tout en étant immergé dans l'eau, pourquoi pas ? On a constamment envie d'avancer tout en conservant nos racines. C'est essentiel.


Publié par Propos recueillis par Nadine Lemoine



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