Présent au Grand Véfour depuis 1991, le chef Guy Martin reste fasciné par l’histoire du lieu. “Chaque fois que je pousse la porte, je découvre des détails que je n’avais jamais vus ou je redécouvre des choses. Ce restaurant a traversé les siècles, accueilli des personnalités marquantes”, confie-t-il. C’est peut-être ce qui l’a poussé à repositionner le lieu, qui est resté longtemps étoilé, en un lieu “plus accessible”, comme il le dit. Rencontre avec ce chef passionné.
Il y a un héritage vivant au Grand Véfour…
En effet, les lieux sont classés au Patrimoine mondial. Même si l’art ne nous parle pas, quand on rentre dans les lieux, c’est un choc. C’est un restaurant qui a traversé les siècles, qui a accueilli des personnalités qui ont marqué l’histoire mondiale. C’est ce qui fait sa richesse.
Malgré le poids de l’histoire, il ne pas se laisser enfermer par le passé. Le Grand Véfour a une âme, mais il ne faut pas que l’histoire soit une contrainte. Je fais abstraction de cet héritage pour mieux le faire vivre aujourd’hui.
Pourquoi avoir repositionné le Grand Véfour ?
Je souhaitais rendre ce restaurant plus populaire, accessible à un plus grand nombre, sans perdre notre âme pour autant. Il y a toujours des suggestions avec des produits comme le homard bleu, les langoustines… et des plats emblématiques de la maison, comme les ravioles de foie gras. Et à côté nous proposons un semainier, autour de 60 €, ainsi qu’une carte avec des prix plus abordables, oscillant entre 20 et 40 €. Nous travaillons avec les mêmes fournisseurs qu’avant mais avec des recettes ou des pièces différentes et un menu avec moins d’étape. Nous sommes dans la même démarche de qualité qu’auparavant. Et cela nous a permis de découvrir une nouvelle clientèle, plus jeune.
J’ai eu trois étoiles Michelin, j’ai été chef de l’année Gault&Millau... Ce qui compte aujourd’hui, c’est de s’amuser et de se réinventer.
Quelle est votre vision de la cuisine française ?
Vue de l’étranger, la cuisine française reste une référence. Elle est toujours au top, elle bouillonne et évolue comme l’art, en lien avec l’économie et les attentes du moment.
Qu’est-ce qui fait, selon vous, la richesse du patrimoine gastronomique français ?
Le fait qu’en France, on intellectualise tout. Par exemple, sous l’impulsion du président des Relais & Châteaux [association dont Le Grand Véfour est membre, NDLR] et de ses administrateurs, nous menons une réflexion sur le bien-être animal. Il faut être raisonnable dans nos choix, éviter certains produits comme l’anguille dont la reproduction est compliquée. La cuisine, ce n’est pas juste préparer des plats, c’est aussi transmettre des messages et du respect. Il y a également la question du bien-être végétal, le respect du produit. Il faut se souvenir que derrière chaque produit qu’on va transformer il y a une femme ou un homme qui l’a cultivé, ramassé, pêché… Au sein de l’association, nous avons des consignes sur les produits à ne pas utiliser, des réflexions sur comment on nourrit nos clients, nos enfants. C’est important de faire partie d’un mouvement qui tire des sonnettes d’alarme. C’est ce qui fait notre richesse.
Quelles sont les grandes évolutions sociétales et dans vos métiers ?
En 1991, veste et cravate étaient de rigueur. Aujourd’hui, les clients viennent plus décontractés, les codes vestimentaires ont évolué, et c’est tant mieux. Il faut vivre avec son époque. Même constat chez les chefs. Avant, un chef restait dans son univers. Quand il travaillait dans un restaurant étoilé, il restait dans le monde des étoilés. Aujourd’hui, il est capable de travailler pour un étoilé puis d’ouvrir un bistrot. Le plus important, c’est d’être en accord avec soi-même et de s’épanouir.
On a un métier qui est très à part des autres métiers. On travaille quand les autres profitent, on partage peu de moments avec nos familles. Cela crée un décalage sociétal. Si en plus on ne peut pas avoir les mêmes codes que tout le monde, ça devient compliqué. Avant, en cuisine, c’était veste blanche et pantalon pied de poule. Après il y a eu les vestes noires. Pour bien cuisiner, in fine, il faut être bien dans sa peau, rester soi-même.
Vous avez constitué une équipe fidèle à vos côtés. À l’instar de Pascal Pugeault, votre bras droit, qui est à vos côtés depuis 35 ans.
En effet, Pascal Pugeault est avec moi depuis 1989. Nous avons commencé au Château de Divonne. En pâtisserie, c’est le chef Franck Pelletier qui opère. Notre chef sommelier, Romain Alzy, est là depuis plus de trente ans. Notre maître d’hôtel, Hervé Delauney, fait partie de la maison depuis vingt ans. Notre directeur de salle, Julien Dubois, a pris la relève il y a quatre ans après le départ en retraite de l’ancien directeur. Beaucoup de salariés ont fait toute leur carrière ici. Nous avons peu de turnover, nous sommes comme une famille. À côté d’eux, il y a les apprentis ou des débutants dans le métier, dont certains deviennent salariés, comme en salle avec Marion Arquevaux ou Marie Flochel, ou en sommellerie, comme Anaïs Wiatrowski. Ils et elles sont jeunes, sont bons, la relève est là. C’est rassurant.
Et en dehors du Grand Véfour…
Je m’occupe de plusieurs établissements à Paris, dont Auguste et A Noste, ainsi que des établissements dans les aéroports. Chaque maison a sa personnalité, mais la qualité, l’accueil et le respect restent les maîtres mots.
Et il y a l’Italie. J’ai investi depuis huit ans dans la rénovation de palais anciens, avec mon épouse. Nous restaurons des palais en ruine, situés dans des centres historiques à Nardo, au Sud de l’Italie, et les meublons avec des pièces de collection, que nous avons acquis au fur et à mesure, et qui étaient stockées. Aujourd’hui nous avons dix-huit chambres réparties dans trois palais. Ce n’est pas un hôtel, c’est une expérience à vivre, un art de vivre en bord de mer.
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Publié par Romy CARRERE