"La juste température est la température à laquelle doit arriver le coeur du produit pour que ses caractéristiques organoleptiques correspondent le plus à ce que souhaite déguster le consommateur."
Le professionnel - comme le consommateur - utilise un langage particulier pour définir les caractères organoleptiques relatifs à la cuisson d'une viande, d'un poisson ou d'un légume. Une viande peut être bleue, saignante, rosée ou à point ; un poisson sera rosé à l'arête ou bien cuit ; un légume pourra être 'al dente', dans le cas d'une légère sous cuisson.
En réalité, à chaque température de cuisson (et souvent même pour chaque couple temps-température) correspond pour un produit un état physico chimique de ses éléments biochimiques constitutifs : protéines, lipides ou glucides.
L'état des constituants de la matière vivante est caractérisé par des propriétés fonctionnelles susceptibles de changer, de se modifier, voire de disparaître.
Exemple : à l'état cru, l'albumine (qui constitue plus de 95 % des protéines du blanc d'oeuf) est soluble et transparente dans l'eau, et a un pouvoir moussant. Lorsque la température augmente, elle change d'état progressivement pour devenir, à 62 °C, opaque, insoluble dans l'eau. De plus, elle perd son pouvoir moussant.
Pour expliquer cette notion de juste température, nous prendrons le cas de la viande et du poisson qui sont deux produits assez semblables mais dont les différences sont suffisamment marquées pour que nous mesurions facilement l'évolution des propriétés fonctionnelles des protéines qui entrent dans leur composition sous l'action de la chaleur.
• Juste température de la viande
La qualité d'une pièce de viande ou d'un filet de poisson dépend de sa couleur, de sa jutosité, de sa tendreté et de son goût. La chair du poisson après cuisson doit être blanche nacrée, celle de la viande doit (dans la majeure partie des pièces à griller ou à rôtir) rester saignante.
Lors de la cuisson de la viande, la couleur rouge du muscle devient rosée puis brun gris. Ce passage du bleu au bien cuit correspond à la modification lente des propriétés fonctionnelles de l'albumine de la viande entre + 58° et + 62°C. Ainsi, toute viande bleue devra être cuite entre 56 °C et 58 °C, les viandes saignantes entre 58 °C et 60 °C, et les viandes rosées à des températures comprises entre 60 °C et 62 °C.
Au-delà de 68 °C, la viande perd définitivement son caractère saignant.
• La dureté de la viande - qui n'existe pas dans le cas du poisson - est également modifiée par la chaleur. Cette dureté est liée, pour l'essentiel, au tissu conjonctif plus ou moins dense selon les muscles et plus ou moins rétracté sous l'influence de la chaleur au début de la cuisson. Pour attendrir la viande, il est nécessaire d'hydrolyser le collagène, protéine constituant le tissu conjonctif qui est responsable de cette dureté. Cette hydrolyse est rapide si la température est élevée et le milieu acide. Elle devient très lente vers 65 °C et le temps de cuisson s'en trouve sérieusement augmenté.
• Le goût de la viande est également modifié par la chaleur (réaction de Maillard) mais également par les agents de sapidité et les additifs aromatiques.
Une telle approche est forcément simplificatrice compte tenu de l'hétérogénéité des muscles utilisés, des espèces animales, de leur stade de maturation, etc. Le phénomène se complique encore sous l'influence des composants de la recette. Il est donc difficile d'entrer plus dans le détail tant les cinétiques de ces réactions sont mal connues aujourd'hui en fonction de la nature des milieux de cuisson.
• Juste température du poisson
Dans le cas du poisson - en particulier au cours des cuissons à l'unilatéral - on voit parfaitement progresser le front de dénaturation de l'albumine.
La jutosité de la viande et du poisson dépend du pouvoir de rétention d'eau des protéines myofibrillaires. Lors de la cuisson des jambons, la température ne dépasse jamais 68 °C dans le but d'obtenir un bon rendement. Ceci confirme les données théoriques sur la dénaturation à cette température des protéines myofibrillaires : la coagulation de l'actine et de la myosine leur font perdre leur aptitude à fixer l'eau, ce qui altère le pouvoir de rétention d'eau de la viande et du poisson.
Si le produit doit être juteux, la température en tout point ne doit pas dépasser ce seuil de 68 °C, sinon l'exsudation en cuisson deviendra maximum. Cependant, les phénomènes sont plus complexes dans la mesure où la dénaturation de l'albumine peut masquer une partie de ces pertes en eau : tout dépend alors de l'allure de la montée en température.
• Les légumes
D'autres analyses identiques peuvent être menées sur les légumes et tout autre produit de la cuisine. Il faut alors rechercher les composants biochimiques qui se modifient sous l'action de la chaleur et dont la modification influence les propriétés fonctionnelles qui ont un impact sur les caractères organoleptiques du produit.
La cuisson des légumes permet d'hydrolyser plus ou moins partiellement les pectines qui assurent la cohésion entre les cellules des légumes. Elle permet également d'hydrolyser les amidons et leurs dérivés dont dépend leur dureté.
• Bases culinaires et cuisine d'assemblage
L'expérience montre que peu de produits entrant dans la composition d'un plat cuisiné ont des couples temps/température de cuisson qui se ressemblent. Si le but est de valoriser chaque élément du plat, il est nécessaire de les fractionner et de les traiter séparément.
Cette constatation introduit la notion de bases culinaires et de cuisine d'assemblage au moment de la remise en température et du dressage des produits dans l'assiette. Cette méthode de travail a toujours existé en cuisine classique. Le chef de cuisine assemble et assure la finition d'éléments préparés par les différentes 'parties' de la cuisine. Les bases culinaires ne sont que les produits de la mise en place auxquelles la cuisson sous vide à juste température confère d'excellentes propriétés sensorielles, une grande sécurité alimentaire et une bonne aptitude à la conservation.
Cette technique intéresse aujourd'hui les industriels dans la mesure où nombre de bases culinaires sont communes à de nombreuses recettes. Il est toujours plus productif pour un atelier de préparer 12 bases qui donneront naissance à plus de 200 recettes, plutôt que d'élaborer chacune de ces 200 recettes.
Tout le problème de la recherche est de définir parfaitement ces bases culinaires qui constituent l'interface entre ce qui peut être industrialisé et ce qui doit rester du domaine artisanal de l'assemblage en cuisine.
Publié par Bruno GOUSSAULT