L'Hôtellerie
Restauration : Quand avez-vous su que vous
vouliez devenir cuisinier ?
Éric
Guérin : Dans les années 1980, ma mère a ouvert une galerie d'art dans la maison
familiale près de Giverny, si bien qu'il y avait toujours beaucoup de monde
chez nous et qu'elle faisait à manger. J'adorais cette ambiance de partage et à
12 ans, j'ai décidé de faire l'école hôtelière au lieu des Beaux-arts. Mes
parents, amoureux des belles choses et épicuriens, ont commencé à nous ouvrir
au monde grâce à des voyages. Tout cela a été déterminant. À 15 ans, je suis entré
en BTH au lycée Jean Drouant à Paris et j'habitais seul dans une chambre de
bonne. J'ai passé un CAP cuisine et un CAP restaurant en candidat libre, puis j'ai
commencé à travailler dans de grandes brigades.
Votre plat favori à la carte ?
L'Île flottante de poisson d'eau
douce, confit de boudin noir fermier et orties sauvages en vinaigrette. Ce plat
me ressemble dans sa construction car ce sont des produits simples qui
finissent par donner un plat très raffiné. Il se compose d'un silure, poisson
sauvage de rivière sans arrête et qui n'est pas cher. Il m'a fallu du temps
pour trouver comment le préparer, mais il est fin, bon pour l'environnement et
économiquement. Je m'entête à le garder à la carte et les clients l'ont adopté.
Le cochon fermier, le silure et les herbes d'ici, c'est une signature de la
Bretagne.
Votre plat best-seller ?
Un seul plat ne change pas, le
chocotruffe [fourme d'Ambert, chocolat blanc et truffe].
C'est un passage, un entre-deux. Le chocotruffe provoque. À 90 % les
clients adorent et le trouvent magique, et 10 % n'adhèrent pas. Mais il
fait partie de notre écriture.
Le plat que vous auriez aimé inventer ?
Les ravioles ou la betterave d'Alain
Passard. Ça me fait pleurer. C'est avec lui que j'ai compris qu'il ne
fallait pas en rajouter mais en retirer, qu'il fallait magnifier l'essentiel.
Vous avez fait très tôt le choix d'être à votre compte. Si c'était à
refaire ?
J'avais 25 ans et j'en avais
assez des grandes brigades. J'ai décidé de me mettre au vert pendant deux ou
trois ans en reprenant le petit restaurant du village à Saint-Joachim où mon
père m'emmenait chasser depuis mes 16 ans. Je ne suis pas un gars de la
ville. J'étais seul en cuisine avec un apprenti. On vivotait mais j'étais
heureux. En février 2000, j'ai jeté l'éponge et fermé le restaurant. Quelques
jours plus tard, j'avais une étoile Michelin.
À partir de ce moment-là, tout a changé pour moi. Si c'était à refaire, je n'aurais
pas agrandi la maison en 2010, car la société a changé. Agrandir signifiait
pouvoir compenser l'activité aléatoire de la semaine le week-end. Aujourd'hui,
il vaut mieux avoir un petit restaurant avec peu de personnel. Mon seul vrai
regret, c'est de ne pas avoir travaillé chez Alain Passard et Pierre
Gagnaire.
Quelles sont vos sources d'inspiration ?
C'est ma vie. Mes sources d'inspiration
se fondent sur une trilogie : la terre - qui on est, d'où l'on vient, le
geste, l'éducation -, l'eau - la transmission, la rencontre, les assemblages en
cuisine -, et l'air : la liberté, le voyage, l'oiseau, la part d'enfance
qui permet d'être créatif. Je vais aussi à l'étranger découvrir des cultures,
des civilisations disparues, des animaux. Cela me nourrit de cette humilité qui
est nécessaire à ma cuisine. Il faut cultiver sa différence.
Vous avez été précurseur en matière de communication et sur les réseaux
sociaux. Comment envisagez-vous votre communication ?
J'ai toujours considéré la
communication comme un métier à assurer en plus de celui de cuisinier. J'y
consacrais mes jours de congés. Aujourd'hui, je lève un peu le pied. J'ai créé
en 2003 une société de communication chargée exclusivement de la Mare aux oiseaux.
On a créé un blog, mis en place une image en perpétuel mouvement, nous sommes
passés à une page Facebook professionnelle. J'ai toujours été impliqué dans la
communication visuelle et virtuelle. Quant aux contenus, j'écris tout.
Vous avez une image de chef et de manager moderne. Quels sont les points
forts de votre management ?
Il faut laisser s'épanouir les
talents individuels tout en conservant son rôle de chef d'orchestre. C'est là
que cela devient compliqué, car je n'embauche que de fortes personnalités. Il
faut arriver à maintenir son propre rythme et conserver une ambiance saine et
décontractée. Il ne faut froisser personne et mettre tout le monde en valeur.
Cela demande une remise en question permanente et beaucoup de générosité. Ma
transmission en cuisine ne se borne pas à demander à mes collaborateurs de lire
les recettes, mais d'apporter leur sensibilité, leur touche personnelle. Ils ne
perdent pas leur identité en travaillant avec moi. Il faut être ouvert à l'évolution,
au partage.
Un rêve à réaliser ?
Mon parcours de vie, associé à mon métier, m'a déjà ouvert la porte de
bien des rêves. J'ai construit mes lieux de vie à mon image. Mon rêve aujourd'hui
serait de pouvoir continuer mon développement personnel en toute liberté, avec
cette sérénité du chemin parcouru et du savoir-faire, tout en continuant à
former de belles âmes de restaurateurs. Mais j'ai également un rêve plus
secret, celui de repartir à zéro quelque part sur terre pour me nourrir d'une
autre histoire.
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La Mare
aux oiseaux en chiffres
Ouverture : 1er
avril 1995
Nombre de places
assises : 70
Nombre de couverts par jour :
140
Nombre de services par semaine :
13
Prix des menus :
55 € (midi en semaine), 75 €, 105 €
Ticket moyen : 115 €
Effectifs : huit
personnes en salle, douze en cuisine
Nombre de chambres : 15
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Le Jardin des plumes en chiffres
Nombre de places
assises : 40
Nombre de couverts par jour :
80
Nombre de services par semaine :
14 d'avril à octobre et 10 de novembre à mars
Prix des menus : 48 €
(midi), 85 €
Ticket moyen : 95 €
Effectifs : 4 personnes
en salle, 6 en cuisine
Nombre de chambres : 8
Publié par Propos recueillis par Nadine Lemoine