Alain Ducasse : J'en retiens un phrase très forte prononcée par Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères et du Développement international, dans son discours de clôture : « Le tourisme français doit avoir pour ambition d'être le premier au monde. » Personne ne peut me soupçonner d'être vraiment indulgent avec les politiques, quels qu'ils soient. Je suis donc particulièrement à l'aise pour dire que ces Assises du tourisme ont été une excellente initiative et que les décisions qui en sont sorties vont clairement dans le bon sens.
Dans son discours, Laurent Fabius listait cinq domaines d'actions. Pour un hôtelier-restaurateur comme vous, quelles sont ceux qui vous paraissent prioritaires ?
Toutes ces actions sont importantes. Je pense par exemple à ce qui a été dit sur l'accueil des touristes, pour lequel des mesures très concrètes d'amélioration des infrastructures ont été annoncées. Je pense aussi au renforcement de la formation des professionnels, un sujet qui me tient particulièrement à coeur puisque je suis aussi formateur. Ou encore la facilitation de l'accès aux services touristiques à un public plus large. Ces trois domaines constituent, à mes yeux, un socle tout à fait important pour l'ensemble du secteur du tourisme.
Mais deux domaines ont un impact tout à fait direct pour les hôteliers-restaurateurs : celui de l'amélioration de l'offre touristique et le chantier du numérique.
Une série d'actions est prévue pour améliorer la qualité et la diversité de l'offre avec notamment la constitution de pôles d'excellence. La restauration est directement concernée puisque la gastronomie est nommément citée comme devant être l'un de ces pôles. Un financement sera trouvé et il reviendra à notre profession d'être force de proposition pour développer la visibilité de notre offre au-delà des frontières. Excellente occasion pour combattre le cliché paresseux d'une cuisine française en perte de vitesse !
La question de la commercialisation sur internet est en train d'émerger comme une préoccupation importante pour la profession. Comment voyez-vous l'avenir dans ce domaine ?
L'objectif clairement énoncé est de « réduire la dépendance à l'égard des grandes plateformes multinationales de distribution numérique ». Ce combat, je le mène depuis presque dix ans comme président de Châteaux & Hôtels Collection. Bien évidemment, il ne s'agit pas de lutter contre le développement d'internet dans le secteur du tourisme : il est inéluctable et nos clients ne sauraient s'en passer. En revanche, nous ne devons pas nous retrouver piégés par cette nouvelle forme de commercialisation. Pour cela, la meilleure solution est tout simplement que les indépendants deviennent propriétaires de leur plateforme. C'est exactement le sens de la grande mutation qu'est en train de vivre notre réseau avec l'ouverture de son capital aux adhérents.
Il faut même aller plus loin. En effet, si cette question des plateformes de réservation est posée depuis plusieurs années dans l'hôtellerie, elle émerge aussi très fortement dans la restauration. L'enjeu est le même : celui de l'indépendance des établissements. La réponse que nous y apportons est la même : il faut que les professionnels maîtrisent leur circuit de commercialisation.
Faire de la France la première destination touristique du monde est un objectif réaliste ?
Oui, si notre profession relève le défi du changement. Au-delà des orientations annoncées et des décisions prises, les Assises du tourisme nous envoient un message important. Le tourisme change : des clientèles nouvelles apparaissent, avec leurs attentes et leurs comportements nouveaux. Il est loin le temps où l'aubergiste attendait, sur le pas de sa porte, que les clients veuillent bien entrer dans son établissement. Aujourd'hui, le professionnel est devenu un véritable chef d'entreprise qui doit savoir tout faire et, en particulier, savoir efficacement commercialiser et gérer son entreprise.
Notre métier est un métier de passionnés, donc d'individualistes. Pourtant, face aux défis de modernisation et d'innovation que nous devons relever, le chacun pour soi ne peut plus fonctionner. Il faut inventer collectivement les formes nouvelles de l'exercice de notre passion. Des solutions qui gardent à notre métier l'enthousiasme qui fait sa force mais qui, en même temps, assurent la pérennité économique de nos entreprises.
Faire de la France la première destination du monde, non seulement en nombre de visiteurs mais aussi,surtout, en valeur, est un objectif magnifique et réaliste. Faisons de cette ambition notre ambition. Osons saisir les opportunités, osons travailler ensemble, osons innover. Bref, osons écrire l'avenir de notre passion.
Publié par Propos recueillis par Nadine Lemoine
vendredi 4 juillet 2014