Comment ouvrir un établissement quand on n'a pas le sou mais la frugalité d'un homme préhistorique ? Rodrigo et Boris Leite-Poço, le couple à l'origine de Sauvage, n'ont ni l'un ni l'autre de formation de restaurateur : si le premier a travaillé dans l'hôtellerie, le second est un photographe d'origine belge arrivé en 2005 dans la capitale allemande. Contraint à un régime alimentaire des plus moroses en raison de problèmes de santé récurrents, ce dernier s'en débarrasse en découvrant par hasard le régime paléo… Avec la foi des convertis, Rodrigo et lui retrouvent "la joie de cuisiner".
Mais très vite, il leur devient impossible de trouver un restaurant suivant les règles paléo. Pas facile de jongler avec ses exigences draconiennes, inspirées de la diète des chasseurs-cueilleurs, du paléolithique : ni produits laitiers, ni céréales, ni produits transformés (pas de sucre, donc). L'idée de créer un lieu intégrant ces spécificités prend corps : "Ce projet est né sur un coup de tête, se souvient Rodrigo Leite-Poço, d'un mélange entre notre spontanéité et le fait que nous étions vraiment fauchés."
Avec pour seuls bagages leurs expérimentations culinaires autour de ce casse-tête nutritionnel et une mise de départ de 20 000 €, tous deux finissent par trouver dans le quartier mi-branché, mi-populaire de Neukölln un local à louer, dans une ancienne maison close. Six mois après l'avoir eux-mêmes rénové, en dépit d'une cuisine "de rien du tout", ils ouvrent le restaurant en mai 2011 (et y dorment quelques mois). "Le menu s'est construit au travers des expériences culinaires que nous menions chez nous, note Rodrigo Leite-Poço. À cause de ces restrictions, nous avons appris à utiliser un large éventail de produits que les autres restaurants négligent."
"Les serveurs doivent aussi être des nutritionnistes"
Des débuts chaotiques n'empêchent pas Sauvage de faire du bruit : "La réaction médiatique a été énorme, souligne Boris Leite-Poço. Nous avons découvert que nous étions le seul restaurant paléo au monde." L'équipe s'est étoffée, et compte aujourd'hui 13 salariés - dont 5 au piano - pour 35 places et un ticket moyen de 45 €. Le menu, renouvelé tous les mois, est à la fois épuré et sophistiqué : le Steak Sauvage - belle pièce de charolais parsemée de noix de macadamia, avec son jus de moelle à la réglisse, et accompagné de purée de yucca, est un classique - côtoie une Caille rôtie, bacon, boeuf et pomme, jus de volaille et figue pochée ou une audacieuse Sole, chorizo, navets, haricots et câpres.
L'établissement séduit d'abord les gastronomes curieux : selon leur calcul, seul 10 % des clients seraient des 'paléos' purs et durs. Si les règles du régime sont suivies à la lettre, les deux fondateurs ont dû faire quelques concessions : ils servent du pain (mais fait maison "avec une demi-douzaine d'ingrédients exotiques", précise Boris Leite-Poço).
"Les serveurs doivent aussi être des nutritionnistes et comprendre ce qui se passe en cuisine, et comment cela affecte la nourriture que nous travaillons, insiste Boris Leite-Poço. Nous nous réunissons en permanence avec toute l'équipe, notamment au moment de créer les menus. Et chacun a son mot à dire." L'expérience a déjà ses émules : le chef danois Tomas Rode Andersen - 1 étoile Michelin au Kong Hans Kaelder à Copenhague - vient d'adapter le concept en version restauration rapide avec son établissement paléo.
Publié par Gilles BOUVAIST