David Toutain : "Cuisiner ce que je veux, sans limite"

Paris (75) Parcours sans faute pour le restaurateur : à son compte depuis six ans - et 2 étoiles Michelin depuis cette année -, il ne lui manquait qu'un livre, paru aux éditions La Martinière, pour lever le voile sur son univers. Rencontre avec un chef libre.

Publié le 04 novembre 2019 à 15:07

L’Hôtellerie Restauration : Vous avez intégré l’école hôtelière de Granville à 15 ans pour faire un BEP cuisine en suivant un camarade. Mais quand avez-vous su avec certitude que c’était bien votre voie ?

David Toutain : Même si j’ai grandi à la campagne et que ma grand-mère était une très bonne cuisinière, on me trouvait plus facilement sur le tracteur. Je connaissais la cuisine du quotidien mais je n’avais pas idée de ce qu’était la grande cuisine. Je suis allé à l’école hôtelière pour suivre un copain mais il a redoublé et je suis arrivé tout seul. Au bout des deux premières années, je n’avais toujours pas eu le déclic. Ma maman m’a poussé à continuer et à passer un bac. Je suis arrivé à La Ferté-Macé et j’ai eu la chance d’être envoyé tout de suite en stage au Manoir du lys à Bagnoles-de-l’Orne, chez la famille Quinton. J’ai adoré la rigueur, la précision, la passion. J’ai trouvé la réponse à mes questions à travers les produits, la cuisine, le service, tout un ensemble qui a fait sens. C’était le début d’internet, j’ai commencé à découvrir le Michelin, les étoilés. Je me suis ouvert à la gastronomie française et au monde.

Dans votre livre, vous dites de votre cuisine : “C’est beaucoup de technique, beaucoup de recherche, mais dans l’idée de simplifier, de rendre cela très lisible visuellement et en bouche” Pouvez-vous nous en dire plus ?

Forcément, c’est une cuisine de produits, mais avant tout, je veux qu’elle soit bonne, basée sur les cuissons et l’assaisonnement. On fait aussi de la recherche sur les associations, les textures en bouche, mais je ne veux pas que tout cela prenne le pas sur le côté bon et gourmand. Il y a beaucoup de techniques sur les salaisons, les saumurages, l’acidité, les amertumes..., mais je veux que les choses soient lisibles et que les clients trouvent ça bon. C’est le plus important pour moi.

Cela fait six ans que l’on a ouvert et je me recentre sur cet objectif. Depuis le début, j’ai conservé le menu carte blanche pour cuisiner ce que je veux, sans limite, et je m’amuse encore. Six ans plus tard, on est toujours là, on est complets et les gens ont compris cette démarche sincère dans le discours et dans la cuisine.

Pourquoi avez-vous installé des caméras dans la salle ?

À l’Agape Substance, la cuisine était au cœur de la salle. Ici, avec la cuisine fermée, cela me manquait. J’ai installé il y a quelques mois des caméras avec un écran en cuisine. On voit à quelle vitesse les clients mangent, s’ils se lèvent. Cela permet d’anticiper des cuissons. J’arrive à percevoir plein de choses qui m’échappaient car mes collaborateurs n’ont pas le temps de faire un rapport complet. Ça me permet de fluidifier le service en donnant le tempo. Mais je ne passe pas non plus le service devant l’écran !

Vous estimez dans le livre que l’on revient à “une cuisine cuisinée”. Comment votre cuisine évolue-t-elle ?

Pour moi, la cuisine de demain, c’est la cuisine d’hier : une cuisine cuisinée. L’idée c’est d’être là, présent. Tous les clients qui poussent la porte me voient. Si je ne suis pas là, je ferme. C’est simple. Ils viennent me voir en cuisine, et les voir me rassure aussi. Ma cuisine évolue sur tout sauf sur les fournisseurs avec lesquels je travaille depuis des années. Ils savent exactement ce que je veux. Soit c’est exceptionnel et je prends sinon je ne prends pas. Par exemple, j’ai 7 viandes au frigo aujourd’hui. J’ai le choix et j’en prends deux : une viande blanche et une viande rouge. On fait notre marché dans notre chambre froide où il n’y a que des produits magnifiques. Le produit est choisi au moment où sa qualité et son goût sont optimum. Il doit être prêt à être cuisiné.


Votre plat best-seller ?

L’Anguille sésame noir. L’anguille vient du Danemark, elle est fumée à froid, caramélisée à la minute, avec une mousse de sésame noir servie chaude et une brunoise de Granny smith juste en dessous. Un caramel déglacé au vinaigre finalise le plat.

Votre plat préféré à votre carte ?

On avait un Lièvre à la royale à ma façon servi uniquement aux habitués ou aux amis. Mon équipe m’a demandé pourquoi on ne le mettait pas au menu. Ils ont raison et on vient de l’intégrer. En fait, j’avais essayé de faire un lièvre à la royale et seule la farce me plaisait. On l’a travaillée, liée au sang. C’est comme un lièvre au couteau confit, avec une tranche de foie gras confite, du lard de colonnata, un crémeux de pomme de terre servi chaud, finalisé avec du cacao. Ce n’est pas forcément un plat que j’aurais imaginé avoir ici, mais c’est gourmand !

Comment organisez-vous la rotation des plats ?

Dans le grand menu, il y a 20 à 22 préparations par personne. Il y a toujours un amuse-bouche classique comme le salsifis ou l’huître, l’Anguille sésame noir et, en dessert, le chou-fleur coco. Je me suis mis à la place du client. Même s’il veut du renouveau, quand il retrouve l’Anguille sésame noir, il retrouve un repère. J’ai trouvé cet équilibre. Il faut des best-sellers, mais à côté, j’ai de nouveaux plats qui changent aussi en fonction de leur période de maturité. En plus des 20 plats, on travaille toujours en parallèle la créativité sur trois plats. Quand un plat saute, on a toujours un prêt à prendre la place.

Quel manager êtes-vous ? Quels sont vos rapports avec vos collaborateurs ?

C’est quelque chose que l’on apprend sur le tas. En fin de compte, pour moi, c’est du cas par cas. Nous avons 23 salariés et chacun est différent. J’ai une grosse réflexion à ce sujet afin d’interagir en fonction de la personnalité de chacun. Surtout, j’ai appris à faire confiance. J’explique comment je veux que les choses soient et je fais confiance. Parfois, il y a des erreurs, alors on se met autour d’une table avec mes responsables. Il y a aussi des briefings tous les matins. On parle du négatif mais aussi du positif. Je communique beaucoup. Je ne peux pas plaire à tout le monde, mais je crois être crédible dans ce que je fais. Je suis là le matin, je fais la mise en place avec eux, je les accompagne dans leur travail.

Au restaurant, en tant que client, sur quoi se porte votre attention ?

Sur tout, sur l’âme que dégage le restaurant. Ce n’est pas un plat, un vin… En tant que client, ce qui me plaît, c’est l’expérience globale comme un super contact avec le maître d’hôtel ou le sommelier, une discussion, etc. C’est peut-être pour ça que j’ai ma maison. On n’est pas les meilleurs, mais c’est l’expérience globale qui est intéressante. Pas plus tard qu’hier, un client m’a dit : “C’était super bon et ce qui nous a plu c’est aussi la grande qualité du service.” Il n’y a pas que la cuisine. C’est gagné !

Quel repas vous a laissé un souvenir inoubliable ?

C’était chez Paul Bocuse avec des confrères. On a passé un super moment. Ils avaient préparé une belle table nappée, la superbe vaisselle, les magnums de champagne dans les seaux à glace… Cela voulait dire 'bienvenue'. C’est magistral dans l’expérience globale.

Vous avez ouvert votre restaurant fin 2013. Vous avez reçu une étoile en 2015, puis une deuxième cette année. Avec le recul, comment analysez-vous cette réussite ?

Je ne me suis jamais mis de stress par rapport aux étoiles, sauf l’année dernière, après avoir obtenu la deuxième. Dès le lendemain et pendant une semaine, les réservations arrivent de partout et je m’interrogeais : est-ce que je suis à la hauteur ? Après, tout est reparti comme avant, en me concentrant sur le travail, les investissements à anticiper pour améliorer le restaurant mais aussi pour avoir de bonnes conditions de travail…

Le secret de la réussite ?

Rassembler et durer. C’est un travail de tous les jours.

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Vous avez travaillé pour quatre icones de la cuisine française : Alain Passard, Pierre Gagnaire, Bernard Pacaud et Marc Veyrat. Un mot sur chacun ?

J’ai toujours travaillé dans les maisons où je voulais aller. Ce qui m’intéressait ne se résumait pas à leur cuisine et aux recettes. Je le dis à mes collaborateurs : ce sont leur vision, leur réflexion qui vous enrichiront. Il faut créer sa propre identité. Je souhaite continuer dans cette lignée.

Alain Passard a été le premier à me donner une chance énorme : il a eu une telle confiance en moi qu’il m’a promu chef à 21 ans. Chez Pierre Gagnaire, j’ai adoré l’ouverture aux goûts. Moi qui n’avais jamais voyagé, il m’a ouvert des horizons et, en plus, je n’avais aucune interdiction. À L’Ambroisie de Bernard Pacaud, je me souviens des volailles rôties au four, mes premières truffes blanches, mes premières vraies morilles. Au-delà de sa magnifique cuisine classique, ce que j’aime, c’est l’homme, sa gentillesse. La Maison de Marc Veyrat, c’était une cuisine différente, une grande brigade. Une cuisine très végétale, avec des saveurs amères et des acidités poussées à l’extrême, tout comme les combinaisons. C’était merveilleux.

Je souhaite aussi parler d’Andoni Luis Aduriz. Le restaurant Mugaritz, en Espagne, était ma première maison à l’étranger, avec 30 personnes en cuisine et 20 nationalités. C’était ce qu’il me fallait à ce moment-là : une cuisine végétale sur le produit, beaucoup de recherche, la gentillesse, une équipe qui se retrouve pour manger ensemble le week-end… J’ai compris que la cuisine, chez lui, commence avant d’entrer en cuisine, c’est créer des liens avec les équipes.

 

David Toutain


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Publié par Nadine LEMOINE



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