Danielle Baumann-Haeberlin : "Les clients sentent l'enracinement familial" à L'Auberge de l'Ill

Illhaeusern (68) Fille de Paul Haeberlin et soeur de Marc, la directrice de salle du trois étoiles Michelin a pour leitmotiv de "faire plaisir au plus grand nombre". Elle a aujourd'hui un devoir de transmission, depuis qu'elle a succédé à celui qui lui a tout appris, son oncle Jean-Pierre.

Publié le 18 juin 2015 à 20:22

Deux hommes, un lieu

Trois étoiles Michelin depuis quarante-huit ans… L'Auberge de l'Ill à Illhaeusern est le deuxième établissement français ayant la plus grande longévité au guide rouge après L'Auberge du Pont de Collonges de Paul Bocuse, de deux ans son aînée. L'établissement, situé dans une paisible bourgade du Haut-Rhin, doit sa notoriété à deux frères : Paul et Jean-Pierre Haeberlin. L'un était aux fourneaux, le second supervisait la salle. S'ils sont aujourd'hui tous deux décédés (Paul en 2008 et Jean-Pierre en 2014), les deux hommes ont laissé une trace indélébile. De précieuses photos ornent dorénavant les murs de l'entrée, laissant entrevoir que l'Auberge de l'Ill fut - et reste - un lieu de passage obligé pour de nombreux gastronomes et célébrités (Bourvil, Jean d'Ormesson, François Mitterrand...). Paul Haeberlin était "discret et timide" ; Jean-Pierre, lui, "homme vif, bavard et curieux du monde", s'occupait tout naturellement de la gestion du restaurant, de l'accueil et de la décoration. "C'était un homme de détail, qui avait la parole libre. Peintre et aquarelliste aussi, il était avenant et soucieux du bien-être de chacun de ses hôtes", se remémore Paul Bocuse, son confrère et ami. Signe de la complicité qui animait ces trois hommes, l'Auberge de l'Ill est située au 2 rue de Collonges-au-Mont-d'Or.

Ayant effectué des études de paysagisme et de peinture à l'École supérieure des arts décoratifs de Strasbourg, Jean-Pierre Haeberlin s'est chargé de l'aménagement des lieux et du jardin, transformant l'ancien potager en une prairie arborée de saules qui s'inclinent harmonieusement vers l'Ill. Aujourd'hui, la salle de restaurant, qui dispose de larges baies vitrées, offre une vue imprenable sur ce parc paysager. Au-delà de la douceur qui y règne, Jean-Pierre Haeberlin a surtout insufflé l'art du bien recevoir. "Mon oncle passait encore en salle jusqu'à ce que sa santé ne le permette plus", se souvient Danielle Baumann-Haeberlin, qui a repris son flambeau en salle.

L'ambiance

"Il n'y a pas de rupture ni de révolution, poursuit celle qui a grandi à L'Auberge de l'Ill. Nous sommes dans la transmission." Danielle Baumann-Haeberlin a commencé à travailler dans l'établissement à 21 ans. Jusque dans les années 1990, elle faisait un service sur deux avec son oncle, qui l'a épaulée et briefée jusqu'à ce qu'elle devienne directrice de salle en 1998. Elle connaît la maison et son histoire mieux que quiconque. "Mon sacerdoce, c'est L'Auberge : un terrain de jeu devenu mon univers de travail, renchérit cette douce femme. Je me cachais toujours derrière Jean-Pierre, mais maintenant je suis au premier rang. J'ai dorénavant un devoir de mémoire."

Si la tradition est intacte, L'Auberge de l'Ill va aussi de l'avant. En 2007, la salle de restaurant (100 places assises) a été entièrement redessinée par Patrick Jouin, sur le thème de la nature. Les baies vitrées longent quatre salles décorée de la même façon. Un trait bleu au sol, représentant l'Ill, fait office de lien entre elles et "interpelle souvent les clients. Cela amorce une conversation." La moquette représente une vue satellitaire de L'Auberge, et les imposants lustres en cristal de Murano s'apparentent à des roseaux. Les feuilles de saule visibles sur les arts de la table (lire ci-dessous) servent de fil conducteur. Les codes couleurs de l'ensemble : le doré, l'écru et le blanc, pour un rendu chic et sobre. Les guéridons et consoles se fondent aussi dans le décor, tout en étant très fonctionnels. Danielle Baumann-Haeberlin est fière de ce lifting, approuvé par Jean-Pierre. Si c'est elle qui accueille les clients et converse avec eux pendant le repas, elle peut compter sur sa fidèle équipe de 23 personnes en salle, dont Alain Schön, premier maître d'hôtel (trente-huit ans de maison), Patrick Zuccolin (vingt-neuf ans) et Laurent Schneider (vingt-et-un ans), maîtres d'hôtel. L'un des piliers de l'établissement, Michel Scheer, premier maître d'hôtel, est parti en retraite après quarante ans de service à L'Auberge. Danielle en salle et Marc en cuisine ne tirent pas la couverture à eux. Ils prônent volontiers les mérites de leur équipe et la promotion interne est privilégiée. Et si un poste se libère, c'est suite à un départ en retraite. Peu de places sont donc vacantes. Outre la bonne ambiance qui règne dans l'équipe, le personnel de salle est payé au chiffre d'affaires, ce qui procure une motivation supplémentaire.

"Les clients [60 % d'habitués, NDLR] sentent cet enracinement familial. La stabilité, ça rassure", estime Danielle Baumann-Haeberlin. Pour un trois étoiles Michelin, la capacité d'accueil - de 85 places - est importante, tout comme le nombre de couverts servis par jour (jusqu'à 150). Mais le travail en salle est précis, sans pour autant faire l'impasse sur les techniques : le carré de veau, la terrine de foie gras d'oie, le pigeon Miéral rôti entier, les crêpes soufflées… "Humilité, sourire, plaisir d'être là, sont ce qui a plu à Patrick Zuccolin. Il y a un esprit de famille que l'on a envie de mettre en avant. La famille Haeberlin créé elle-même une famille au sein de [son] personnel. On va dans la même direction : faire plaisir aux clients." À table, la brigade de salle met à l'aise en tablant sur l'humour. Le leitmotiv de la maison : "faire plaisir au plus grand nombre", ce qui se retrouve par exemple dans la formule jeune, pour les moins de 35 ans, à 109 €, boissons comprises. "Aimer le service, avoir du coeur, être au service...", Danielle Baumann-Haeberlin respire la sérénité. On comprend pourquoi le personnel comme les clients se sentent bien à L'Auberge de l'Ill. Et même si elle s'en défend, on sent que la directrice de salle a pris la relève de Jean-Pierre Haeberlin à la perfection. 

 
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Les arts de la table

Sur table, la mise en place est plutôt sobre, car "le gros décor est à l'extérieur", assure le maître d'hôtel Patrick Zuccolin. Les feuilles de saule, arbre-roi de l'Alsace, servent de fil conducteur. Elles sont dorées, en rappel du design du restaurant. On les retrouve sur l'assiette d'attente et l'assiette à pain Haviland. Le verre à eau Villeroy & Boch, couleur orangé, est aussi orné de feuilles de saule. Les couverts (en argent) : un couteau à pain, une fourchette et une cuillère pour les amuse-bouche. Ce jeu de couverts est posé sur une serviette en lin pliée en deux. Le tout est complété par une ménagère sel et poivre Peugeot en argent et des fleurs naturelles.

 
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La sommellerie

Qui dit Alsace, dit vignoble. L'Auberge de l'Ill ne pouvait que mettre en avant ce terroir viticole. Le chef sommelier est Serge Dubs, un autre pilier de la maison (quarante ans d'ancienneté). Son CV est impressionnant : meilleur sommelier de France 1983, Master of Port 1988, meilleur sommelier d'Europe 1988, puis du monde en 1989. À ses côtés, une équipe de trois sommeliers composée de Pascal Leonetti, meilleur sommelier de France 2006 (dix-sept ans d'ancienneté), Hervé Fleuriel (treize ans), et la petite dernière, Camille Cullard. Serge Dubs a imaginé une carte fonctionnelle et ludique. Le pliant de gauche annonce les vins d'Alsace (2/5 de la carte). À droite, on trouve les vins de Bourgogne et de Bordeaux rouges, les champagnes, les vins de Loire et du sud méditerranéen. La lecture se fait par appellations, puis par noms de domaine. Au total, 600 vins sont référencés.

"65 % de nos ventes sont les vins blancs d'Alsace, car la cuisine de Marc est taillée pour les vins locaux", explique Pascal Leonetti. Le best-seller : Maison Trimbach Colette Faller et filles (pinot noir). La fourchette de prix va de 32 € pour un sylvaner Dussourt 2001 9 000 € pour un romanée conti Domaine de la Romanée Conti 2005. L'Auberge de l'Ill dénombre 6 300 références (48 000 bouteilles) mais la plupart sont en garde pour cinq à six ans dans une cave stock. L'Auberge applique une tarification plus que raisonnable : le coefficient appliqué est de 3,5 à 4. Là encore la politique maison "faire plaisir au plus grand nombre" prend tout son sens. Ainsi, on peut déguster un Chambertin-Latour 1973 à 350 €. L'accord mets et vins (7 plats, 7 vins) coûte seulement 70 € de plus que le menu.


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Publié par Hélène BINET



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