Ce sont les clients habitués qui commencent à réagir, demandant de plus en plus au chef Alexandre Couillon : "Vous avez agrandi le jardin ?". Si le restaurant La Marine (2 étoiles Michelin), à Noirmoutier (85), a toujours son petit jardin à l'arrière de la maison, ce n'est pourtant pas là que poussent crucifères, arroches, carottes et fenouil. Aidé d'experts comme le maraîcher nantais Olivier Durand et le jardinier du Domaine national de Trianon, Alain Baraton, Alexandre Couillon a créé un potager de 1 800 m2 à 5 minutes en voiture du restaurant. Aujourd'hui, le travail se fait en collaboration avec Nicolas Pruiti, un jardinier habitant de Noirmoutier et originaire de Buenos Aires (Argentine). Une relation que le chef souhaite étroite. "Il me dit qu'il a envie de comprendre ce que j'attends, c'est ça que je recherche."
Ce qui réjouit aussi le chef, c'est de voir ses équipes présentes sur le potager durant leurs jours de congé. "Les jeunes viennent sans que je leur demande et ont plus de respect à couper ensuite les légumes. Il faut les mettre à contribution". Pour Alexandre Couillon, arrivé ici quand il avait leur âge, l'important est de transmettre. Le chef, qui a débuté les plantations en février, vient d'avoir ses premiers radis. "À La Marine, on pourrait fonctionner en autonomie avec un menu complet de tout ce qu'on peut avoir, de la fleur à la racine, avec également la cueillette sauvage."
Quasi autonomie
L'idée trottait depuis longtemps dans la tête de Rémi Fournier, chef de Chez Rémi à Angers. Quand il déménage en septembre 2013 afin de doubler la capacité d'accueil du restaurant (de 30 à 58 places), il en profite pour réaliser son rêve : à vingt-cinq minutes d'Angers, il crée un potager de 1 600 m2 autour du jardin de plantes vivaces en permaculture de Julien Marlin, qu'il embauche pour le potager.
Après deux ans, la situation est encourageante, mais le modèle économique n'est pas encore stable. "Entre les couteaux, les graines, le fumier et le salaire du jardinier, l'investissement est lourd." Le chef a choisi de ne pas cultiver certains légumes comme les pommes de terre et les épinards et continue de faire appel à des maraîchers de la région. Il y a eu des échecs avec certains légumes, mais aussi des satisfactions. Et au printemps et en été derniers, le restaurant a fonctionné en quasi autonomie, avec carottes, navets, choux, céleri, mesclun, des légumes plus originaux comme l'oka du Pérou, la tomatilles (sorte de physalis) et de multiples variétés de tomates, dont la Ferme de Sainte-Marthe (Angers) lui fournit les graines. Les clients sont-ils au courant ? "Avec la mode des potagers dans la restauration, on a préféré rester discret. Mais on devrait bientôt installer un texte explicatif à l'entrée du restaurant." Quant au travail au potager, le chef insiste, "on apprend sur le tas. On s'est donné trois à cinq ans pour trouver l'équilibre de production".
Des produits qui ne supporteraient pas le transport
Pour Nicolas Masse, chef de La Grand'Vigne (2 étoiles Michelin), le restaurant des Sources de Caudalie à Bordeaux, soutenu par Alice et Jérôme Tourbier, la mise en place d'un potager dans le cadre du domaine fut assez logique. Il y a eu plusieurs projets et le potager a fini par voir le jour au printemps 2014, entretenu par les jardiniers des Sources. "Il ne faut pas se faire déborder par des variétés qui arriveraient en excès. Après plus d'un an, on a trouvé un rythme intéressant et c'est le potager qui rythme le menu", explique le chef. Avec 250 kilos de tomates l'année dernière, tous les aromates, différentes variétés de fraises, de framboises et de groseilles, des blettes à profusion, Nicolas Masse est enthousiaste. "Il y a aussi les fleurs de courgette, de concombre, les fanes de carottes que l'on sert en salade, des produits qui supportent difficilement le transport et que l'on a ici à disposition." Autre avantage, le potager est situé entre les cuisines et le restaurant gastronomique vitré. Les clients apprécient de voir les cuisiniers faire leur cueillette et de se rendre au potager à l'issue du repas. Les discussions ont même commencé autour d'un verger et d'un poulailler d'une trentaine de poules pour avoir les oeufs frais au quotidien.
Publié par Caroline MIGNOT