L’Hôtellerie Restauration : Nous avons vu les besoins humains des salariés dans les précédents articles de la série (pour rappel, l’égalité intrinsèque entre tous dans l’entreprise car tous sont intelligents, le développement personnel de chaque salarié car tous ont des dons, l’auto-direction des salariés par opposition à être dirigé), ainsi que la manière dont le chef d’entreprise peut répondre à ces besoins. Mais si chaque salarié passe à l’action avec liberté et responsabilité, y a-t-il quand même des décisions où l’avis d’un responsable est nécessaire ?
Vous raisonnez avec le schéma des entreprises traditionnelles en tête. C’est justement du poids néfaste du contrôle dont l’entreprise libérée propose de se débarrasser, pour que justement les salariés soient plus réactifs face aux opportunités et aux problèmes. Les entreprises traditionnelles ne souffrent pas d’un trop plein d’initiatives mais d’un déficit. Pour répondre à votre question de manière imagée, comme dans une entreprise libérée on vit en communauté - comme sur un bateau -, pour une décision qui impacte la ligne de flottaison, l’équipier va bien sûr recueillir l’avis des leaders, d’autres équipiers plus expérimentés, plus informés ou qui ont plus de responsabilités. Mais pour une décision qui impacte la ligne de flottaison du bateau, pas une décision qui modifie la couleur de sa coque. C’est faire de la liberté un usage responsable pour le bien de l’entreprise. Et c’est le sentiment de responsabilité qui borde la liberté, certainement pas le sentiment de hiérarchie que l’on retrouve dans les entreprises traditionnelles et qui bride l’innovation. Et les équipiers progressent justement en prenant des décisions de plus en plus impactantes.
Vous avez présenté l’objectif d’auto-direction des salariés (être aussi entreprenant et responsable que le leader) mais ça ne doit pas être évident pour un salarié de passer d’un extrême à l’autre, en d’autres termes, de passer d’un rôle d’exécutant à celui d’entreprenant ?
Bien sûr que ce n’est pas simple. Certains, ayant évolué dès leur jeunesse dans un environnement ultra-contrôlant où la moindre erreur était punie, auront peur d’assumer la responsabilité, le droit à l’essai - mieux que le droit à l’erreur - qu’on leur octroie. Heureusement, ils ne représentent qu’une minorité de salariés. Vous vous apercevrez que petit à petit, vos salariés ne vont plus venir vers vous pour valider une décision puisque vous leur répondez que c’est à eux de décider. Ce qui n’empêche pas de faire le point sur les résultats de leur décision et de les encourager, de les améliorer. Mais vous verrez que vos salariés vont très vite mettre en œuvre des idées qui augmentent ce qu’apporte l’entreprise à ses clients. Des idées auxquelles vous n’aviez pas pensé. Tout simplement parce qu’ils passent tout leur temps sur le terrain et que vous le faites seulement de temps en temps, et que c’est eux qui voient les problèmes en premier.
Dans une entreprise libérée, tous les équipiers contribuent à réaliser la vision rêve de l’entreprise. Cependant, tous ne sont pas aussi entreprenants les uns que les autres…
Oui, bien sûr, les potentiels des gens varient. Mais on est souvent surpris du potentiel de collaborateurs à priori timides, et au contraire, on peut être déçu de certains qui se plaignaient beaucoup mais qui sont aux abonnés absents une fois qu’on leur donne la liberté d’agir. Avoir une idée, convaincre, mettre en œuvre, franchir les obstacles un à un et ressentir au final, en cas de réussite, de la fierté ou, en cas d’échec, la satisfaction d’avoir essayé, procure un sentiment de réalisation de soi, de son potentiel.
Et comment cela se traduit-il en termes d’intéressement ou de primes ?
La question du partage équitable et juste d’une partie des richesses créées grâce aux initiatives, à l’engagement supplémentaire de salariés, est importante. Typiquement, il s’agit de trouver une formule, comment partager une partie des profits entre les salariés - après la rémunération des actionnaires et les investissements nécessaires. Dans beaucoup d’entreprises, cela se fait à parts égales, dans certaines autres proportionnellement. Les outils RH tels que la prime de participation et la prime d’intéressement sont utilisés pour la distribution de cette part des profits auprès de salariés. Attention cependant de ne pas appeler ce partage de gains “prime”. La prime est individuelle, tandis que le partage de gains est collectif.
Comment l’entreprise libérée a-t-elle pu s’affranchir de la jalousie et du sentiment d’injustice face à un écart de salaire incompris ? Certes, les salariés sont conscients que des compétences et des contributions différentes justifient un salaire différent. Cependant, pratiquement tous pensent qu’ils contribuent plus que leur voisin, donc qu’ils méritent un salaire plus important. Et ce point de vue, même s’il est subjectif et n’est pas le point de vue du chef d’entreprise, contribue à les démotiver…
Et bien, abordez le sujet avec votre salarié. Le sujet du salaire équitable doit être levé pour ne pas faire obstacle à une organisation qui repose sur la confiance, la liberté et la responsabilité. Égalité intrinsèque n’est pas égalitarisme, source de toutes les jalousies. Égalité intrinsèque veut dire la considération, y compris celle du niveau de compétence de chacun - souvent fruit d’années d’études et de sacrifices - ainsi que de la rareté de divers profils sur le marché du travail. Tout cela doit être discuté avec les salariés. Il y a même des entreprises qui, une fois que l’on a présenté aux salariés le minimum et le maximum que gagne leur profil dans leur bassin d’emploi, leur demandent combien ils veulent gagner. On peut responsabiliser les salariés, même sur ces sujets, bien que ce ne soit pas simple.
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Publié par Olivier MILINAIRE