L’Hôtellerie Restauration : Qu'est-ce que vous avez ressenti lorsque vous avez été pressenti pour le poste de chef exécutif du Bristol ?
Arnaud Faye : Passer derrière Éric Frechon, qui est l'un des très grands noms de la gastronomie française, ça fait forcément réfléchir. C'est un véritable héritage, une continuité à honorer, donc je me suis demandé, est-ce que c'est vraiment pour moi ? Ce n'est pas que je n'étais pas enthousiaste, mais c'était un défi de taille, et j'ai pris le temps d'y penser.
Combien de temps avez-vous réfléchi avant de vous décider ?
J'ai pris ma décision assez rapidement. Cela faisait huit ans que j'étais installé dans une certaine zone de confort à La Chèvre d’or, à Èze. Mais je suis quelqu'un qui aime les challenges. Et je me suis demandé ce qui pourrait me faire quitter le Sud. Le Bristol était probablement l'une des rares maisons qui pouvait me convaincre de revenir à Paris.
Comment avez-vous préparé votre arrivée ?
J'ai commencé en prenant le temps de rencontrer tous les responsables, que ce soit en cuisine ou en salle : sous-chefs, chefs adjoints, etc. L'objectif était d’échanger avec eux, de comprendre leurs ressentis, leurs défis... Cela m’a permis de voir ce qui fonctionnait bien, ce qui nécessitait des ajustements et d'entendre leurs attentes. C’est essentiel d’écouter les personnes qui sont sur place pour continuer à faire évoluer la maison dans la bonne direction. C’est un défi global. On travaille sur de nouveaux projets, de nouvelles. L’idée est que les équipes s’adaptent à ces nouvelles propositions, avec de nouvelles techniques. L’avantage, c’est que dans une maison comme le Bristol, les gens savent déjà très bien cuisiner.
Comment avez-vous pensé la conception de la carte ?
Mon approche, depuis des années, c’est de me mettre à la place du client, que ce soit un Parisien ou un touriste. Je me demande toujours ce qu’ils attendent quand ils viennent à l’Épicure, au 114, ou à Antonia. Quand on vient à l'Épicure, avec son histoire, son cadre, son service, on s'attend à certains produits comme le caviar. Cela n’empêche pas de proposer des produits plus simples, mais il y a une clientèle qui vient aussi pour ce luxe. C’est un privilège aujourd'hui de pouvoir travailler avec des ingrédients d'exception.
Après huit années dans le Sud, est-ce que la Méditerranée reste une source d’inspiration pour vous ?
C'est plus que ça, c'est dans mon ADN ! Je me permets d'avoir une entrée, un poisson, une viande où l’on retrouve toujours un peu de cette empreinte du sud de la France. C’est une partie de moi, de ce que j’aime : une cuisine très végétale, centrée autour de l’huile d’olive et des produits méditerranéens. Et nous avons un menu qui peut être décliné en version végétale.
Votre cuisine a-t-elle évolué avec le temps ?
Oui, elle a sûrement évolué. Je n’ai jamais eu une cuisine particulièrement lourde, mais je dirais qu’elle s'est simplifiée. Je veux que les gens sachent exactement ce qu’ils mangent, que ce soit clair, pur. Avec l’expérience, tu réalises que la cuisine devient plus simple, plus essentielle. Quand on est jeune, on veut prouver des choses avec beaucoup de technique, mais avec le temps, on se rend compte que l’essentiel, c’est ce qui se passe en bouche, pas la démonstration technique.
Votre première carte a été mise en place fin septembre. Avez-vous ressenti une certaine pression ?
Oui, forcément. D'abord, celle de la clientèle, surtout quand tu passes après 25 années d’Éric Frechon, dont 15 avec 3 étoiles. C’est inévitable. Mais j'essaie de ne pas trop m'y attarder, car pour bien travailler, il faut garder l’esprit sain et léger. Même si parfois, je sens le poids de ces 3 étoiles au-dessus de ma tête, je ne les considère pas comme les miennes. Très honnêtement, pour moi, c’est comme un nouveau départ. Bien sûr, on va se battre et faire tout ce qu’il faut pour les conserver.
Comment gérez-vous cette responsabilité au quotidien ?
Je fais attention à tout : la qualité des plats, la température, le moindre détail. Je ne suis pas toujours au passe. Je suis en cuisine et je garde un œil sur l’ensemble. J’ai une méthode de travail basée sur la précision, le calme, et la concentration. Parfois, dans la frénésie du service, les équipes peuvent se laisser distraire. Mais pour moi, c’est essentiel de maintenir le silence et la concentration, sans que cela devienne monacal. C’est sur ces petits détails que tout se joue.
Publié par Nadine LEMOINE