L'Hôtellerie Restauration :
Quelles sont les principales nouveautés à la carte du
Mugaritz cette année ?
Andoni Luis Aduriz : Nous travaillons avec
une centaine de nouveaux plats cette année, comme la Raie croustillante au
beurre noir, les Brins d'asperge à la sauce garum [sauce à base de poisson fermenté
dans du sel et utilisée comme condiment durant l'Antiquité romaine, NDLR] ou le
Tartare d'huîtres sur sa boule de glace. Ce dernier est l'un des plats les plus
emblématiques de la nouvelle carte : il n'y a pas de cuisson. Tout est
dans la finesse de la découpe et l'interaction entre les matières, de la saveur
des huîtres jusqu'au contact de la glace sur les lèvres. Ce que nous voulons, c'est
donner toute sa place à la sensorialité. Parce qu'il s'agit de raconter une
histoire, en considérant chaque plat comme une séquence. Et sans forcer le
protocole, sans imposer des règles extérieures à cette narration.
C'est pour cela que vous avez
supprimé les desserts de la carte cette année ?
Oui, mais il faut contextualiser. C'est en
fait une suite logique dans l'histoire du restaurant. Nous avions d'abord
franchi une première étape en laissant la table nue, avec au centre une
sculpture en mouvement perpétuel inspirée du sculpteur Jorge Oteiza. Nous
avions décidé que tout ce qui arrivait ensuite sur la table ne serait plus un
objet, mais un outil. Il s'agissait de donner à découvrir 25 plats, comme
autant de pas pour inciter les clients à manger avec les doigts, si cela se
justifie bien sûr, comme on a l'habitude de le faire avec les amuse-bouche. C'est
un moyen de stimuler la sensorialité, parce que la bouche commence avec les
doigts. Mais il faut pour cela s'affranchir des règles, y compris celle de
terminer le repas avec un dessert. Attention, je ne suis pas contre le
dessert ! Mais on doit pouvoir le choisir en toute liberté, pas par
obligation.
Quelle est
la place de l'innovation aujourd'hui dans votre travail ?
L'innovation est plus importante au niveau de
la relation avec les clients qu'au niveau technique. Par exemple, dans le
respect de la juste temporalité du service. Pour moi, la touche de sel sur un
aliment est aussi importante que le temps du service. J'ai pris conscience de
cette importance notamment au Japon, où les meilleurs restaurants de sushis se
distinguent par un tempo qui ne supporte pas l'attente : le cuisinier
prépare et le sushi doit être mangé à l'instant. On découvre ainsi que le
protocole de notre culture peut se heurter à d'autres traditions culinaires. Il
faut savoir casser les codes pour rester sur une proposition créative, c'est le
lieu de l'innovation.
Vers où se portent vos
recherches actuellement ?
Je travaille avec diverses unités de
recherche, dont l'université berlinoise Humboldt, en collaboration avec des
chercheurs en psychologie et neurosciences, pour savoir comment une expérience
gastronomique peut influencer nos mémoires. Cela se retrouve dans la relation
avec les clients du Mugaritz. Nous partons du principe que chacun est habitué à
trouver beaucoup de plaisir dans ce qu'il se remémore, mais comme le cerveau
est un peu paresseux, c'est à nous de créer les conditions pour aller au-delà
de ces limites. Car, de même que l'apprentissage d'une autre langue développe
nos capacités cognitives, la découverte de nouvelles saveurs enrichit notre
rapport aux autres et au monde.
Publié par Francis MATÉO