À L'Oustau de Baumanière, aux Baux-de-Provence, Glenn Viel travaille main dans la main avec une poignée d’artisans locaux : souffleur de verre, vannier, ébéniste, tailleur de pierre, et plusieurs potiers, dont l’une, Cécile Cayrol, a installé son tour in situ. “On est les premiers à avoir une potière salariée dans une maison. Cela facilite les discussions et le travail de création”, glisse le chef triplement étoilé. À table, tout est pensé dans les moindres détails. La texture externe des huiliers, par exemple, varie en fonction de l’huile qu’ils contiennent. “On a une saucière par plat et par client, soit 700 au total. On a six ou sept variétés de cloches. Cela égaie le service. À chaque fois, c’est différent, c’est vivant.”
Glenn Viel est loin d’être le seul à imaginer des contenants uniques. Christopher Hache, à la tête de Maison Hache à Eygalières (1 étoile Michelin), collabore par exemple avec huit artisans : “Le sur mesure, cela renforce l’expérience du client et l’identité du restaurant. Ca met aussi en avant les produits”, confirme-t-il. Romain Bonnet, chef du restaurant gastronomique nantais Omija, cherche ainsi à retranscrire l’esprit de son établissement, “bio, local, axé sur le végétal et la cueillette” : “On a fait faire chez Ilaké [un atelier de verre spécialisé dans la vaisselle artisanale, NDLR] des assiettes pour chaque saison, avec des plantes incrustées qu’on retrouve dans nos plats”, note-t-il.
Un long processus
L’idée, séduisante, nécessite de la patience. “Ça peut prendre un an pour concevoir un plat dans son intégralité, entre la recette et l’assiette, et pour que la potière fasse les tests puis réalise les contenants en nombre suffisant”, observe Glenn Viel. De son côté, Christopher Hache a récemment fait appel à une courtière en arts de la table et accessoires de décoration sur mesure : “Célie Bennett fait un travail atypique. Elle trouve des artisans locaux capables de collaborer avec de grandes maisons pour tout un tas d’accessoires : assiettes, carafes, soliflores, bougeoirs… On la briefe sur nos exigences pour un service à café. Elle enclenche le processus de création, fait faire des échantillons… Cela fait gagner beaucoup de temps”, se félicite l’ancien chef de l’Hôtel de Crillon.
Attention, fragile
Toutefois, ces créations artisanales exigent certaines précautions. “Nous n’utilisons le sur mesure que pour notre restaurant gastronomique, pas pour le bistrot, car c’est de la vaisselle fragile, qui demande plus d’attention et se lave parfois à la main. Ce n’est pas compatible avec de gros volumes”, remarque le patron de Maison Hache. Et Romain Bonnet d’enchérir : “Il faut que ce soit joli et que ça dure dans le temps. Je ne prends pas de formes biscornues pour que ce soit empilable, et je veux que ça puisse passer au lave-vaisselle.”
Chez Ilaké, le prix d’une assiette moyenne démarre à 45 €. Un budget qu’il faut aussi prendre en compte. François Szpala, chef propriétaire de Ja’Ayl (un petit établissement gastronomique de 20 couverts ouvert dans le Lot-et-Garonne fin 2023), a pourtant fait ce choix pour plusieurs contenants : “On ne travaille que tous les deux avec ma femme, ce qui nous permet d’avoir une certaine flexibilité financière… et d’aller au bout de notre démarche.”
Publié par Violaine BRISSART