Le World Cuisine Summit, qui s'est déroulé le 27 janvier dernier lors du salon du Sirha, à Lyon, animé par Elé Asu et Frédéric Loeb, son délégué dégénal, a été marqué par l'empreinte du développement durable. Dès le début, en accueillant les participants, Marie-Odile Fondeur, directrice du Sirha, rend hommage à Paul Bocuse qui a eu l'idée de ce sommet mondial de la cuisine. Puis elle donne le ton de la journée : "Le Sirha est un défricheur des nouvelles tendance,s en particulier de l'impact du développement durable et des nouvelles technologies pour réussir à nourrir toute la planète avec moins de ressources. Ce sommet est une occasion de faire une fertilisation croisée entre tous les professionnels pour apporter des solutions".
Les perspectives les plus créatrices
Frédéric Loeb a donné un cadre à ces réflexions. "Je préfère parler de Food Service que de RHF ou d'Horeca. Notre futur passe par notre capacité à capter dans notre activité de service les signaux faibles pour avoir une longueur d'avance. Nous sommes là pour identifier les tendances, partager les stratégies porteuses des perspectives les plus créatrices. Nous devons rester optimistes. En 20 ans, la malnutrition dans le monde a baissé de 20 %. Le food service change très rapidement, nous sommes probablement au début d'un nouveau cycle, il y a de nouvelles urgences en restauration".
Les tendances qui ont été détectées : le développement durable, la santé, l'expérience et l'unicité, avec une première nécessité : le plaisir.
Les grands enjeux
En premier lieux, il y a les ressources alimentaires. La tentation d'une production de plus en plus locale avec la nécessité d'optimiser l'eau, l'énergie et de réduire les déchets dans un monde de plus en plus urbain.
Également la prise en compte des préoccupations des clients envers leur santé. Avec le développement de l'obésité mais aussi la sécurité des aliments et le rejet des tous les allergènes avec le sans gluten, sans lactose…
Les nouvelles technologies impactent elles aussi totalement le food service. Le client peut vivre une expérience digitale totale pour un restaurant en le repérant, le comparant, le réservant, le commentant…
Enfin, on note l'évolution des métiers et de la gestion des ressources humaines.
Les mégatendances qui résultent de ces enjeux
• Un cuisine frugale et glocale : avec le développement du locavore - s'approvisionner dans un rayon de 200 km maximum - et du respect de la saison, c'est-à-dire savoir sublimer les produits locaux.
• Une cuisine monitoring par rapport à la santé. Nous savons aujourd'hui que notre ventre est notre deuxième cerveau avec 200 millions de neurones.
• Une cuisine postmoderniste : avec le développement de l'intelligence artificielle dans les équipements.
• Une cuisine refondation : au niveau de l'éducation, de l'élégance et du style, les enfants devenant une cible prioritaire pour les éduquer au goût. Ainsi dans la cuisine scolaire l'accent est mis sur la rééducation au bien manger. Et les cuisiniers doivent retrouver le beau geste.
Durable ou obsolète ?
Deux dirigeants d'entreprises fournisseurs de la restauration apporteront leur éclairage.
Olaf Koch, PDG du grossiste Métro explique que "la stratégie de notre entreprise pour se développer durablement s'appuie sur nos partenaires et notre volonté d'aider nos clients à réussir. À l'ouest de l'Europe et à l'est nous n'avons pas la même perception du développement durable. À l'ouest, nous mettons surtout en avant la dimension environnementale alors qu'à l'est et en Russie, ils mettent plus l'accent sur la performance financière. Nous travaillons autour de trois axes qui sont le local, en favorisant la préservation de l'héritage des diverses cuisines locales. La protection des ressources. Et enfin rendre le futur possible en luttant notamment contre le gaspillage. Le développement durable est une affaire de solidarité humaine".
Antoine de Saint-Affrique, directeur de la branche Food d'Unilever a expliqué quant à lui qu'aujourd'hui il n'y a qu'une alternative : être soutenable ou obsolète, c'est-à-dire opter pour le développement durable ou disparaître. Pour lui, le développement durable est le coeur du business model d'une entreprise qui veut construire sur le long terme. Et la collaboration est aussi importante que la compétition. Cette approche qui est dans les racines d'Unilever est plus significative que jamais. Il s'agit de penser à notre écosystème, de la fourche à la fourchette.
Moins de viande mais de première qualité
Deux fournisseurs de viande ont traité du cas particulier de la viande.
Olivier Metzger, directeur général de Metzger Frères, explique qu'il n'a pas été préparé à rationner la viande dans l'enseignement qu'il a suivi. Mais que l'appétit mondial limite le disponible. Aussi faut-il mieux valoriser tous les morceaux, diversifier l'offre. Qu'à rebours d'une production industrielle de plus en plus rejetée il s'agit de mettre l'accent sur la naturalité. Le bovin est un animal extraordinaire capable de transformer de la cellulose en protéines animales bonnes pour l'alimentation humaine. Il s'agit de manger mieux plutôt que moins.
Britt-Marie Stegs, directrice générale de Hâsingestintan, en Suéde, a développé une approche innovante pour éviter aux animaux de longs trajets vers l'abattoir. C'est l'abattoir qui se déplace dans leur environnement habituel. Elle a conçu un camion à remorque qui est un abattoir mobile. Cela améliore le bien-être des animaux, il n'y a pas de risques sanitaires, la traçabilité est totale et la viande est meilleure.
Des légumes valorisés jusqu'à la moindre épluchure
Deux chefs ont avec virtuosité cuisiné des plats qui mettent en évidence leur engagement pour une cuisine porteuse de valeurs humaines. La chef brésilienne, Régina Tchelly, est venue apporter un message très fort sur le plan émotionnel en proposant de changer notre relation à la nourriture avec beaucoup d'amour. Elle-même mène une action dans les favelas de Rio de Janeiro avec Favela Organica, une association qu'elle a créé pour éduquer les habitants des favelas à cuisiner avec ce qu'ils ont l'habitude de jeter.
Gaston Acurio, le chef péruvien du restaurant Astrid & Gaston, à Lima, a présenté sa démarche pour mettre en valeur la gastronomie péruvienne avec l'un de ses plats emblématique : le Ceviches écologique. Ce plat péruvien traditionnel n'était il y a 20 ans proposé que par quelques centaines de restaurants au Pérou, aujourd'hui il est à la carte de 20 000 établissements. Cela est problématique au niveau de la ressource en poisson. Aussi il a choisi d'introduire des légumes locaux et de saison dans sa recette. Ce choix présente de nombreux avantages : il y a moins besoin de poisson c'est donc moins cher, c'est visuellement très coloré et très bon sur le plan gustatif, enfin c'est excellent pour la santé. Gaston Acurio conclue en disant qu'ainsi il contribue à ce que nous puissions avoir du poisson toute la vie.
Publié par Jean-Luc Fessard, Transition Verte et Bleue, Auteur du Blog des Experts