"J'ai 70 ans, je suis le premier chef français à m'être installé à
mon compte au Japon et le plus âgé en activité. Dans les années 1970-80, nous
étions une trentaine de chefs français. Aujourd'hui, nous sommes à peine une
dizaine de plus, alors qu'il y a des milliers de restaurants français.
Je suis né à Montpellier, mais nous avons vite déménagé à Carcassonne,
au pied de la cité. Je passais tous les jours devant les cuisines de l'Hôtel de
la Cité, attiré par les odeurs, impressionné par la tenue des cuisiniers. À
16 ans, j'ai décidé de devenir cuisinier. Je suis entré en apprentissage
chez Marcel Aymeric, le "roi du
cassoulet", au Logis de Trencavel, à Carcassonne. Une formation à la dure :
il fallait se bouger, mais on apprenait. Après mon service militaire, je suis allé
à Bordeaux pendant trois ans. Sous-chef de partie à La Réserve, j'ai découvert
les spécialités régionales et le bon vin !
L'aventure de Montréal à Osaka
À cette époque, le Canada recherchait des émigrants avec un métier. Je suis
parti en 1968 pour Montréal et l'hôtel Mont Gabriel. En 1970, la télé diffusait
l'inauguration de l'exposition universelle d'Osaka, au Japon. Un client de l'hôtel
recrutait pour eux, et j'ai signé pour être chef au restaurant du Canada
pendant six mois. J'ai rencontré Miyoko,
ma future femme, qui travaillait à la caisse. J'ai décidé de rester au Japon et
j'ai trouvé du travail en trois jours !
J'étais chef au restaurant Île de France, à Tokyo, le premier à faire
découvrir aux Japonais la cuisine traditionnelle des régions françaises :
cassoulet, civet de lapin, escargots, truite farcie… Mon nom était associé à cette
cuisine traditionnelle, aussi, je ne pouvais pas changer. J'étais le seul à
cuisiner du cassoulet au Japon. Je continue : en février-mars, je propose
sept soirées cassoulet dans une ambiance carnaval de Limoux. Elles font le
plein, avec 800 personnes au total. Pour que la cuisine reste bien
française, il faut rester sur les bases traditionnelles : les sauces, les
assaisonnements, la taille des portions. Je mets au menu des plats que j'aime
manger moi-même !
"Au Japon, il faut toujours aller de
l'avant"
En 1978, j'ai repris le restaurant Île de France. En 1984, j'ai ouvert
le restaurant Pachon, avec un coup de coeur pour l'historique cheminée en
pierre. Je menais les deux établissements de front, en ouvrant toute l'année,
car c'est mal vu de fermer. J'ai décidé de proposer également une cuisine plus
moderne, plus bistrot. Avec mon fils Patric,
j'ai ouvert le restaurant Le Petit Bedon, en 1998, puis le Bistrot Pachon en
2003 (renommé Le Comptoir occitan). J'ai aussi tenu, de 2001 à 2005, un centre
de formation culinaire pour les Japonais, Villecarla près de Carcassonne.
Au Japon, il faut toujours aller de l'avant. Si votre dossier tient la
route, si votre réputation est bonne, les banques viennent vous faire des
propositions. Tous les contrats et les prêts sont en japonais et sont signés
par le hanko - le sceau personnel. À chaque ouverture, j'ai fait de gros
investissements. Il faut ensuite faire les bénéfices correspondants. En quarante-six
ans, je n'ai jamais eu de problèmes. Aujourd'hui, l'entreprise compte 40 personnes,
avec des employés sérieux.
Au Japon, il faut s'adapter. Tout est précis, encadré, il faut toujours
organiser, planifier, réserver. Si vous êtes travailleur et sérieux, si vous n'avez
pas de problème avec la police et vos voisins, on vous déroule le tapis rouge.
Mais au moindre écart, vous devez faire vos valises. Aux Français qui veulent
réussir au Japon je dis : soyez sérieux et surtout, que vous soyez employé
ou patron, travaillez beaucoup, plus encore que les Japonais.
Mon rêve à la retraite ? Être au Japon d'octobre à mars et en
France d'avril à septembre, pour y former mes employés et mes clients japonais
qui me le réclament. En cuisine, on doit se perfectionner tout le temps,
surtout au Japon !"
Publié par Anne Sophie Thérond
vendredi 9 octobre 2015