Triste 24 février 2003. Ce jour là, en pleine gloire, au sommet de son art, Bernard Loiseau a fait le choix terrible de partir. À l'annonce de la nouvelle, la profession est sous le choc. Homme à forte personnalité, le cuisinier natif de Chamalières (63) comptait nombre d'amis dans le milieu. Depuis mars 1968, pour les avoir vues arriver chez les frères Troisgros à Roanne (42), où il faisait son apprentissage, il rêvait des trois étoiles au guide Michelin. Et, installé en 1975 au restaurant La Côte d'Or, à Saulieu (71) où Alexandre Dumaine s'était couvert de gloire (trois étoiles de 1935 à 1939 puis de 1951 à 1964), il concrétise son rêve étoilé.
Nous sommes en 1991. La clientèle prend ses habitudes, l'entreprise se développe avec des ouvertures à Paris et une entrée en Bourse, le 23 décembre 1998, une première chez les cuisiniers. L'homme est capable de tous les sacrifices et une grande fatigue, sans doute, explique son choix de partir brutalement, à 52 ans.
Dès le lendemain du drame, avec Patrick Bertron, le fidèle bras droit dirigeant la manoeuvre en cuisine, Dominique Loiseau s'est attachée de façon impérieuse à tout maintenir, se démenant sur tous les fronts : gestion rigoureuse, présence dans les médias, innovation permanente.
"La tentation de tout abandonner ne m'a jamais effleurée. Comment imaginer de gommer une telle oeuvre à laquelle j'avais participé ? La maison a une telle histoire à transmettre depuis plusieurs générations que je me sentais dans l'obligation de sauver tout cela. J'ai pensé que l'on passerait peut-être à deux étoiles, mais aussi qu'un si bel établissement, au coeur d'une si belle Bourgogne devrait marcher. Je me suis raccrochée à la notoriété internationale des Relais & Châteaux car j'avais déjà bien commercialisé la maison Bernard Loiseau en Europe et aux États-Unis."
Fidélité aux valeurs
Le guide Michelin a jugé que les trois étoiles étaient toujours justifiées. Elles n'ont finalement jamais quitté l'établissement. Et, les jours suivant la disparition de Bernard Loiseau, les proches, soudés autour de Dominique, ont décidé avec elle de la marche à suivre. "C'est vrai que j'ai été très sollicitée et qu'il me fallait être digne devant la presse, sans craquer… Ce qui a suscité de nombreux commentaires, pas toujours agréables. J'ai simplement eu le comportement de quelqu'un qui voulait que ça continue, pour conserver et pouvoir payer le personnel qui s'était totalement investi dans l'aventure. J'ai toujours pensé à la pérennité de l'entreprise et voulu que le nom de Bernard Loiseau reste sur la façade."
Au printemps 2003, Dominique Loiseau sollicite un rendez-vous avec Derek Brown, le patron du guide Michelin, qui lui indique simplement que les étoiles concernent l'ensemble de la prestation. Un nouvel argument pour Dominique vis à vis de ses équipes : "Je leur ai dit que si nous étions aussi bons, nous allions peut-être garder cette troisième étoile et maintenir l'excellence. Patrick a montré en cuisine qu'il était l'homme de la situation : nous ne voulions pas devenir un musée, et la création a continué."
Aujourd'hui, dix ans après, Dominique Loiseau souligne : "C'est pour moi une grande fierté que les équipes aient maintenu une si belle qualité." À plus forte raison quand des clients qui découvrent le lieu lui confient qu'ils ressentent 'l'esprit Loiseau'. "C'est formidable alors que la plupart d'entre eux ne sont jamais venus ! J'ai voulu être fidèle aux valeurs qui animaient Bernard en particulier l'authenticité de l'accueil, du décor et de l'assiette", dit-elle simplement mais avec la plus grande conviction.
"Je n'ai pas perdu mon âme et suis resté un aubergiste. Aujourd'hui, être le plus grand cuisinier du monde ne suffit plus. Il faut autre chose. J'ai simplement recréé le Relais de poste des temps modernes. Je vends du rêve en réalisant ce que les gens aimeraient avoir chez eux", confiait Bernard Loiseau quelques semaines avant son départ.
Rien n'a vraiment changé en fait. Et Dominique Loiseau dit-elle autre chose quand elle déclare : "Au-delà du professionnalisme de notre métier, notre mission consiste avant tout à donner du bonheur à nos clients. Jour après jour, je mets tout en oeuvre pour pérenniser cette entreprise unique en son genre, cette maison qui fait partie du patrimoine gastronomique français" ?
Publié par Jean-François MESPLÈDE
vendredi 22 février 2013