L’Hôtellerie Restauration : Vous évoquez le Covid-19 comme une période aussi fracturante que Mai 68…
Pierre Gagnaire : J’ai connu Mai 68. Il y a eu un avant et un après. Il y a des choses formidables qui en sont sorties et d’autres moins bien. La pandémie est une période comparable qui nous incite à réfléchir, à nous poser les bonnes questions et à redémarrer.
Pourquoi est-il devenu si difficile de recruter et former des équipes stables ?
La restauration est touchée, comme tous les métiers de service. Dans la restauration, on peut le comprendre avec cette fameuse coupure de l’après-midi qui vient perturber la journée. Je l’ai ressenti moi-même pendant le covid, même si j’ai perdu de l’argent, je l’ai vécu comme une bénédiction. J’étais chez moi le soir. À 19 ou 20 heures, j’avais le sentiment d’avoir fait ma journée et de pouvoir rentrer chez moi. Dans tous les métiers de service, il y a un rapport au travail qui s’est modifié du fait de la pandémie. Mais il faut se réveiller. Tous les métiers sont difficiles. Un paysan a beau entendre les oiseaux qui chantent et la rivière qui coule, il doit se lever le matin, il doit se baisser, c’est dur. Le rapport au travail est là. Il y a aujourd’hui l’attente d’une forme d’assurance tout-risque de la part des gens que je trouve inquiétante. Je crains des réveils douloureux.
Quel conseil donneriez-vous aux restaurateurs ?
Je n’ai pas la recette miracle. Je m’en sors plutôt pas mal parce que j’ai anticipé. J’ai compris, quand j’ai commencé à travailler pour moi, qu’il fallait s’occuper des gens, les aimer, les respecter, avoir un projet fort et solide qui donne de l’enthousiasme et l’envie de venir travailler. Si les salariés savent qu’ils vont prendre une volée de bois vert tous les jours, ce n’est pas possible. Il faut faire preuve de beaucoup d’empathie pour les autres, être attentif. Et c’est fatigant ! Moi, je suis un petit peu paternaliste, un tout petit peu intrusif, j’essaie de faire un état des lieux permanent avec mes équipes.
Comment redonner de l’optimisme à ses collègues ?
L’optimisme, c’est que les clients sont là, les gens ont envie de vivre. L’emballage de l’Arc de triomphe par Cristo a fait venir un million de personnes en trois week-ends ! Cela montre que la vie est toujours plus forte, malgré tout ce qui peut nous envahir de tristesse et d’effroi. Il y a des gens qui créent, qui font avancer le monde de façon positive.
Publié par Cyrille PITOIS