Pedro Novo : "Bpifrance se veut être garant d'un équilibre financier résilient"

Rencontre atypique avec le directeur Paris Île-de-France de la Banque publique d'investissement française. Il s'exprime sur le nouveau contexte financier actuel et le positionnement.

Publié le 14 février 2014 à 18:32

L'Hôtellerie Restauration : Quelle impression avez-vous du marché de l'investissement à Paris ?

Pedro Novo : le marché de l'investissement, au sens large, n'a jamais été aussi dynamique que maintenant. Paradoxalement, il ne s'est jamais ralenti, même pendant la crise, avec notamment l'arrivée de nombreux nouveaux entrants institutionnels ou dits fiscaux, sur fond d'un marché réalisant de belles performances économiques. En 2013, sur la seule direction régionale de Paris, nous avons financé pour 200 m€ - en crédits -, ce qui signifie 600 m€ de projets menés par des investisseurs parisiens - non seulement dans la capitale mais aussi sur l'ensemble du territoire -, qui ont été cofinancés avec les banques partenaires de la place et d'autres modes de financement.

En France, le marché hôtelier est très hétérogène. Il se divise entre une hôtellerie urbaine dynamique d'une part, à Paris, Lyon et Marseille, relayées par des capitales régionales comme Bordeaux, Nantes et Lille entre autres. Elles représentent des gisements de création de valeurs très importants. D'autre part, le parc hôtelier de petite capacité, non rénové en milieu rural, est cannibalisé par les maisons d'hôte et offres alternatives. Ceux-là, malheureusement, ont davantage de difficultés à se financer et à trouver un acheteur conduisant certains à disparaître.

Il se segmente aussi avec différents acteurs :

- La rénovation et la transformation, où se retrouvent des établissements indépendants anciens, généralement urbains, qui, du fait de leur rénovation, deviennent plus qualitatifs et se transforment parfois en boutique-hôtels attractifs, montant en gamme, souvent innovants, créatifs et affichant une forte identité.

- Il existe par ailleurs un marché des nouveaux palaces gros porteurs. Financés selon des codes différents, avec des montages spécifiques hors normes. Ces établissements de prestige ne déséquilibrent pas pour autant le marché traditionnel et trouvent leur place. Il n'y a qu'à voir les résultats récemment dégagés par Mandarin Oriental ou le Royal Monceau, irrigués par une clientèle étrangère dont la fréquence des visites et l'appétit pour la capitale ne faiblit pas.

- Il y a enfin le marché de l'hôtellerie de chaîne ou d'enseignes, très développé sur le territoire succursaliste ou franchiseur. Il représente une part de marché tout à fait considérable.

On assiste depuis peu à l'arrivée de nouveaux modes de financement. Quelles conséquences cela peut-il avoir sur le marché ?

L'arrivée de nouvelles formes de financement a permis de répondre à la contrainte de marché imposée par les nouvelles réglementations bancaires internationales - dites de Bâle III - conjuguées à une visibilité économique plus étroite, le tout rendant le crédit globalement plus rare et plus cher.

Ces nouvelles formes patientes de fonds propres ou quasi fonds propres ont permis d'équilibrer le risque des projets ; ce qui est une bonne chose en soi, puisque cela assure le maintien de la dette injectée dans des limites supportables par la rentabilité opérationnelle. Historiquement, le financement de l'hôtellerie était assuré par des emprunts à long terme et une partie de fonds propres plus ou moins importante - environ 30 % - selon l'emplacement, la qualité des actifs et la nature de l'acquisition murs et fonds ou titres. Or, depuis une dizaine d'années, le montant des fonds propres imposé dans le contexte que l'on connaît a augmenté, par exemple autour de 50 % en moyenne pour des actifs premiums parisiens.

Par conséquent, pour poursuivre leur développement, les acteurs du marché hôtelier ont dû chercher d'autres formes de financement en levier face à des prix qui poursuivent leur progression nourris par une forte demande. On a ainsi vu émerger de nouveaux fonds et de nouveaux acteurs tels que123 Venture, OTC Asset Management, Turenne Capital ou encore Novaxia. Ils disposent d'une surface financière importante et d'une ingénierie qui permet, en levier des investisseurs historiques, de 'solvabiliser' à l'aide de ressources patientes - obligataire convertible, Equity - les plans de financement proposés. Dans un autre registre, nous observons l'entrée de fonds institutionnels français ou étranger séduits par l'attractivité du sous-jacent hôtelier dans l'Hexagone, et en particulier à Paris qui reste, malgré des prix élevés, compétitive face à New York, Londres ou Tokyo, par exemple. C'est le cas de Pramerica, venu apporter son soutien aux projets réussis de financement du groupe Paris Inn.

Plus récemment, d'autres types de fonds ont été levés par des collecteurs en faisant appel à l'épargne publique. Ils sont destinés à financer le rachat d'hôtels. Le modèle reste encore à démontrer selon les leviers mis en force, et ce, alors qu'il accélère fortement sans avoir pu mesurer les premières performances malgré un intérêt naturel que représentent ces liquidités à l'entrée. Il est vrai que lorsqu'une transaction à l'achat est opérée sur un prix haut de fourchette, sur un actif neuf ou difficile à upgrader, tout en assurant des rendements supérieurs à 7,5 %, les marges de manoeuvre sont étroites.

Comment se positionne Bpifrance sur le marché si actif du financement ?

Bpifrance se veut être garant d'un équilibre financier résilient permettant de voire plus grand et de préparer le coup d'après ! D'abord, parce que la participation d'une institution co-détenue par l'État et la Caisse des dépôts a tendance à rassurer, et aussi parce que notre histoire d'acteur du financement dans l'hôtellerie inspire une certaine confiance à nos partenaires investisseurs et prêteurs, aux côtés desquels nous sommes toujours.

Ensuite, nous investissons sur du long terme. Ce qui nous guide, c'est de faire émerger des champions, donner des possibilités d'investir à de nouveaux acteurs, aider des entrepreneurs créatifs et audacieux dans leur projets de développement. À titre d'exemple, nous finançons dans la restauration, le développement de Big Fernand, ce concept de hamburger français qui fait un carton à Paris et qui part désormais à la conquête de New York. Dans l'hôtellerie, nous soutenons aussi les concepts urbains innovants comme le Mama Shelter, dont Serge Trigano propulse le déploiement international après avoir assis son ADN originel à Paris puis dans l'Hexagone. En revanche, nous n'intervenons pas sur des montages financiers qui restent en dehors des équilibres économiques usuels, comme sur le financement des grands palaces par exemple. Nous ne savons pas financer des chambres à des prix dépassant sensiblement le million d'euros la clé.

 

Quels sont les griefs que l'on peut vous faire ?

On entend assez peu de critiques en réalité. On peut nous reprocher d'être trop prudents ou conservateurs mais nous restons fidèles à des valeurs pragmatiques et de bon sens ne souhaitant pas mettre inutilement sous tension les projets que nous soutenons par des leviers trop exposés.

Bpifrance est bâti sur des valeurs qui illustrent le code génétique de ce positionnement, à savoir la simplicité, la proximité, l'optimisme et la volonté.

Comment voyez-vous la situation dans l'année qui vient ?

Le marché va rester formidablement attractif au regard de prévisions très encourageantes. Nous n'avons jamais fait autant de dossiers à Paris. J'en ai  une vingtaine en cours de signature sur mon bureau. Par ailleurs, je pense que le marché n'a jamais été aussi créatif et que cette créativité est rattrapée par des évolutions sociétales. Il existe en effet des changements de comportement parmi les consommateurs. L'hôtellerie, notamment urbaine mais pas exclusivement, semble devenir un lieu de loisir, de plaisir et d'émotions pour la population résidente, au même titre que le sont les restaurants. On voit en effet de plus en plus de Parisiens tester pour se faire plaisir un hôtel, comme on décide d'aller au restaurant. C'est une nouvelle tendance de consommation qui apporte aux hôtels une vraie contribution au plan économique et des gisements de croissances. C'est aussi cela notre vocation, déceler les nouvelles tendances, et financer l'avenir et l'audace en restant fidèles à la réalité économique. Voilà le rôle de la Bpifrance dans l'hôtellerie.

 


Publié par X. S.



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