Les accords mets & jus du Clos des Sens : les sommeliers aux fourneaux

Annecy (74) Après les accords mets & vins, les accords mets & boissons, Thomas Lorival, chef sommelier et le chef Franck Derouet explorent les accords mets & jus "pour créer simultanément un plat et une boisson épousant une même âme". Au coeur du végétal et de l'aromatique, toute l'équipe de sommellerie se met aux fourneaux pour éplucher, rissoler, mijoter et concocter des recettes liquides en cohérence totale avec les plats au menu.

Publié le 27 février 2023 à 12:43

Comment cela se traduit-il dans les faits ?

Thomas Lorival : Pour la féra échalotes par exemple, c’est la définition d’un accord cuisiné pur et dur. On passe en cuisine, on crée une eau qu’on fait à travers des échalotes rôties. On les fait colorer et caraméliser dans le fond d’une cocotte en fonte, sur le piano. Dès qu’elles sont suffisamment dorées, on les mouille avec un peu d’eau, on ajoute du miel pour sucrer légèrement. C’est une cuisson comme un bouillon de grand-mère. Il cuit pendant quelques heures jusqu’à la concentration en arômes et en sucrosité souhaités, de par l’évaporation et le phénomène d’osmose. On sert cette boisson légèrement tiède avec, sur le dessus, une émulsion de lait d’alpages, un lait fermier entier fumé au bois de genévrier. 

Vous parlez d’évaporation et d’osmose… Vous pouvez nous éclairer davantage ?

Dans le cadre des accords mets & Jus au Clos des Sens, nous avons développé les eaux de fruits maison, parce que l’ennemi numéro 1 des accords sans alcool, est la sucrosité. Dans le vin, il y a de l’alcool, et notamment du glycérol. C’est ce qui amène la texture, l’épaisseur tactile. À partir du moment où on le retire, on tombe dans le monde aqueux, on se rapproche donc de la texture de l’eau. Dans mes lois sur l’accord, j’aime associer les arômes et les textures, plus que les saveurs.  Si on souhaite qu’un plat fonctionne avec un vin ou une boisson, il faut qu’en terme de textures, les choses se répondent. Et question tactile, le sucre est une solution, encore faut-il un équilibre parfait. Nous avons développé les eaux pour pallier à cela. On utilise une masse de fruits que l’on lance en cuisson avec de l’eau. On dilue ensuite la matière que l’on met en cuisson longue. C’est un phénomène d’osmose qui va permettre à l’eau de se charger de tous les éléments du fruit, du légume, de la fibre et ainsi de récupérer toutes les composantes aromatiques, les sucres, les acides, les amers, la sensation tanique dans l’eau de mûre par exemple. Jusqu’à la matière sèche, solide, une fois la totalité de l’eau réduite. C’est ce phénomène d’osmose à cuisson lente qui nous a permis d'obtenir une eau de rhubarbe, parfumée et surtout texturée. Comme si on sortait un bout de rhubarbe de l’extracteur, sans la violence de l’acidité, parce qu’elle est contrebalancée avec un peu de sucre naturel. On intègre ensuite la fleur de sureau.

La fleur de sureau ? Ce n’est pas délicat avec la saisonnalité de maintenir les jus sur le temps ?

La fleur de sureau est conservée au sucre, à l’ancienne comme dans les bocaux des grands-mères. Rappelons que depuis toujours le sucre sature le développement bactérien et préserve les arômes. Et cette notion d’authenticité et de respect du patrimoine est aussi une clé de la régularité des accords mets & jus. Dans un premier temps, Il est important de comprendre que la notion de saisonnalité est propre au lieu. La saison de la tomate chez nous n’est pas la même que celle en Provence. Et dans un second temps, l’écart de saisonnalité peut être justifié à partir du moment où les moyens de préservation ancestraux, culturels et empiriques nous permettent de proposer des fleurs de sureau, des câpres et de l’ail des ours préservés au vinaigre, comme aujourd’hui avec la truite. Ainsi nous ne forçons pas la saison en intégrant un ingrédient qui n'en est pas issu. Demander un propos à des tomates sous serre en hiver, c’est forcer la saisonnalité. Acheter des fraises fraiches en plein hiver, c’est une dérive. Mais utiliser en janvier un aliment préservé au sucre ou au sel, fermentée, séché - comme la salaison pour les viandes -, c’est culturel et cela s’est toujours fait chez nous. C’est une lecture d’authenticité et de patrimoine, pas de saison. 

Cela vous permet donc d’avoir plus de choix dans vos accords l’hiver ?

Dans nos accords avec les jus, on stocke effectivement beaucoup en été. Pour assumer les jus en hiver, on trouve des coings, quelques pommes, mais globalement rien n’est simple chez nous ! On fait face à une vraie période morte en terme de végétal frais. On a donc travaillé des moyens de conservation qui développent le propos de la localité. Cela fait aussi partie du sens citoyen, de l’écoresponsabilité qui nous guide. On est tout à fait conscient qu’on veut être en lien avec les saisons, nos maraichers et nos producteurs. À nous de trouver des moyens ancestraux de conservation et de préparer en amont. À l’époque, l’affinage d’un fromage était fait pour la conservation. Idem pour la salaison et la fumaison, en dehors du goût fumé, c’était aussi pour préparer les périodes hivernales. Tout avait une raison. Ce sont des procédés qu’on réutilise et qu’on remet d’actualité. On valide un propos et une cohérence. On a réfléchi, maturé les choses, rien n’est fait par hasard.

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