Veit Fuhrmeister : Nous souhaitons clarifier les choses et donner plus d'objectivité à la situation. Comme je suis hôtelier moi-même, je connais leurs attentes et leurs inquiétudes et je souhaite les aider à mieux comprendre le monde de la distribution sur internet. Ma première volonté est de renouer le dialogue avec les hôteliers, de mieux le structurer en apportant de nouveaux moyens pour communiquer. Je crois que l'opacité qui règne dans nos relations est anxiogène. Le 4 juillet dernier, nous avons organisé un événement pour plus de 150 hôteliers parisiens qui a eu beaucoup de succès. Nous voulons aller plus loin en multipliant les réunions d'information régionales, non seulement avec les hôteliers mais aussi avec leurs équipes : chefs de réception, webmaster… Nous allons poursuivre nos 'conference call', un moment d'échanges et de discussion privilégié qui réunit chaque mois entre 80 et 250 hôteliers parisiens.
Chaque mois, nous offrons aux hôteliers la possibilité de recevoir leurs statistiques personnelles : nombre de visiteurs reçus, tri divers, par nationalités... mais peu les réclament. D'ores et déjà, notre groupe dispose d'une équipe de 500 personnes destinée à être étoffée pour gérer nos partenariats avec les hôteliers, pour mieux communiquer avec le secteur. La moitié a plus de dix ans d'expérience dans le tourisme et l'hôtellerie. Ce que je souhaite, c'est créer un sentiment d'appartenance au lieu d'un sentiment de rejet et, pour cela, il faut apprendre à nous connaître pour mieux nous comprendre.
Ce rejet est compréhensible, car alimenté par des faits réels, comme les taux de commission jugés trop élevés et pénalisants pour les plus petits...
Il faut raisonner au niveau global. Nous sommes très attentifs à la situation de l'hôtellerie indépendante de moins de 60 chambres, qui représente en France 72 % de notre chiffre d'affaires. Nous n'obligeons personne : les hôteliers sont libres de choisir ou non de travailler avec nous, comme ils peuvent aussi choisir de mettre en place un outil qui leur offre toutes sortes de possibilités sur internet - accès aux GDS, OTA, etc - par le biais de PMS, et autres outils technologiques performants. En revanche, si l'hôtelier décide de ne pas choisir Expedia, il sait qu'il ne doit compter que sur son propre site et qu'il n'aura jamais les moyens d'accéder à la clientèle internationale que nous lui proposons. Notre groupe comprend de nombreuses marques : Egencia, spécialisée sur le voyage d'affaires, EAN, Venere, Hotels.com... Même si nous percevons une commission jugée élevée sur les réservations, il faut être bien conscient qu'il s'agit d'un chiffre d'affaires supplémentaire, auquel l'hôtelier n'aurait jamais eu accès sans nous.
Mais les plus petits sont pénalisés car les commissions représentent souvent 20 à 30 % du chiffre d'affaires, compte tenu de la petite capacité qu'ils vous proposent...
La question n'est pas là : sur le global, c'est un système gagnant-gagnant. Il faut renouer le dialogue et mieux l'expliquer.
Il existe d'autres conditions que les hôteliers jugent très contraignantes, comme le 'bar' (prix unique), souvent inacceptable pour les petits hôteliers qui aimeraient mettre des offres promotionnelles sur leur propre site.
Comme le Yield, le 'bar' vient des compagnies aériennes. Il a été repris par l'hôtellerie pour régulariser sa distribution et éviter les fluctuations tarifaires. Si on l'enlève, tout le monde va y perdre. Or, nous apportons un demi-milliard d'euros de chiffre d'affaires aux hôteliers français par an. S'ils ne veulent plus utiliser Expedia, ils auront du mal à se distribuer sachant que 60 % de nos budgets publicitaires sont consacrés à des campagnes offline sur les marchés émergents. Même les chaînes intégrées, qui ont pourtant des moyens conséquents, travaillent efficacement avec le groupe Expedia. Nous avons notamment dépensé un million de dollars [environ 775 000 €, NDLR] sur le marché chinois, ce qui contribue à la croissance du tourisme chinois en Europe. Je pense toutefois qu'au-delà de ces réactions abruptes, il existe une autre voie, qui est celle du dialogue. Les hôteliers doivent redevenir nos partenaires.
Face à cette position dominante, certains groupes, notamment aux États-Unis, ont réagi en montant des systèmes de réservations directes. Qu'en pensez-vous ?
Pour ce qui concerne par exemple RoomKey aux États-Unis, je vais vous surprendre mais nous avons augmenté notre chiffre d'affaires avec les groupes qui composent RoomKey depuis que ce portail existe. Les projets français qui vont dans le même sens me paraissent embryonnaires et, faute de moyens, devraient connaître quelques difficultés.
Quelle place voulez-vous occuper dans le monde de la distribution ? Comment vous définissez-vous ?
Le marché hôtelier s'apparente au marché de la distribution. Vous avez deux types de consommateurs : celui qui achète du sur mesure directement auprès de grandes marques, et celui qui va dans les grands magasins pour avoir plus de choix et, souvent, payer moins cher. C'est pareil dans l'hôtellerie. Nous sommes dans la deuxième catégorie.
Vous avez été les premiers sur le marché, et maintenant Google souhaite lancer son propre outil de réservation. Comment vivez-vous l'arrivée de la concurrence ?
Pour Google, il me semble qu'il va y avoir un problème de confusion des métiers. C'est ce qui nous a conduits à nous séparer de Tripadvisor, qui est un site d'avis de consommateurs libres : nous ne faisons pas le même métier. Multiplier les genres au sein d'un même réseau n'est pas souhaitable. De notre côté, nous avons mis en place des outils d'accompagnement pour aider les hôteliers dans leur commercialisation, Malheureusement, la plupart n'utilisent que 50 % des possibilités que nous leur offrons. Nous devons mieux les informer et les former, pour qu'ils puissent tirer le meilleur parti du panel de marques Expedia. De nos jours, un hôtelier a davantage besoin d'un webmaster et d'un Revenu Manager que d'un directeur commercial. Notre partenariat est simple : plus de formation, plus d'information et un changement de comportement.
Comme la possibilité d'alléger voire supprimer les allotements ?
Là encore, il faut être logique. Le marché est donnant-donnant. Vous ne pouvez pas dire à Expedia : " Je ne vous donne rien à cette période parce que je suis complet", et tout lui demander à d'autres. C'est comme en distribution. Il faut proposer certaines marques moins demandées en été, pour séduire les consommateurs en hiver. Et si je ne peux disposer d'allotements toute l'année, lorsque les marchés me le demandent, je ne pourrai pas, par exemple, me permettre d'investir 3 M$ sur le marché brésilien, alors qu'il constitue pour certains un vrai réservoir de clientèle. Il faut bannir la mauvaise foi et rétablir le dialogue. Ce que nous voulons, c'est permettre une discussion sur mesure concernant le stock alloué par chaque hôtelier.
Vous axez votre démarche sur le partenariat. N'est-ce pas l'image d'Expedia qui est à changer ?
Je souhaite créer une relation de confiance avec les hôteliers. Toutes les situations peuvent se discuter, et je privilégierai toujours le dialogue. Mais nous sommes une société commerciale et l'échange doit être donnant-donnant. Cela ne nous empêche pas d'écouter en créant sans cesse de nouveaux outils d'accompagnement, comme Expedia Traveller's Preference - ETP - que nous venons de lancer, et ce n'est pas fini. Nous restons ouverts à tout dialogue, nous croyons à l'instauration d'une relation de partenariat et nous espérons que les hôteliers seront vite convaincus par notre approche.
Publié par Propos recueillis par Évelyne de Bast