Design et hôtellerie économique : le mariage de raisons

Paris (75) Les hôtels à petits prix changent d'allure. Rénovés, modernisés, ils s'inspirent des auberges de jeunesse, despaces de coworking ou hôtels 4 étoiles. Hôteliers et designers cassent les codes, évitent les effets de mode. Mais est-ce suffisant pour repositionner l'hôtellerie économique de façon durable ? Enquête.

Publié le 02 juillet 2019 à 18:46


“Aujourd’hui, on ne vient plus forcément que pour dormir, dans un hôtel économique. Le client a aussi tendance à vouloir prendre un petit déjeuner, boire un verre, travailler, s’attarder…
 ” Ce constat est dressé par Margaux Courtois de Viçose, responsable commerciale, promotion et relations publiques du groupe Altica Hotels. Autrement dit : la donne a changé dans ‘l’économique’. Car Airbnb est passé par là, les auberges de jeunesse se sont modernisées et les besoins des voyageurs d’affaires ont évolué avec l’arrivée du digital : dans un 2 étoiles, on veut recharger une batterie de portable aussi facilement que dans un palace.

À cela s’ajoutent les attentes des Millennials, génération née avec Internet, la crise et l'émergence de l'économie collaborative. Les hôteliers doivent s’adapter. Or, l’un des premiers réflexes consiste à revoir le design des établissements à petit prix. Nouveaux éclairages, touches de couleur, mobilier de designers… certains redoublent d’idées pour redonner de l’allure à une réception ou aux chambres et couloirs d’un hôtel souvent situé en bordure d’autoroute ou de périphérique.

 

Créer un environnement instagrammable

Dans nos établissements, nous avons mis l’accent sur l’aménagement du lobby, de l’accueil et de la salle de petit déjeuner”, précise Margaux Courtois de Viçose. Un mix “rétro-pop” rythmé par des papiers peints, des coussins colorés, du mobilier chiné : des matières premières faciles à faire évoluer, voire à renouveler au moindre choc, à la moindre tache.

Chez Accor, Damien Perrot parie sur “un design qui ne se démode pas” : “On ne suit pas les tendances, on crée plutôt un univers, une atmosphère. Dans nos établissements, on appréhende de façon globale l’offre architecturale, l’aménagement des espaces et les fonctions proposées aux clients”, détaille le vice-président design global du groupe Accor.

Ainsi, le studio de design Sismo, fondé par Frédéric Lecourt et Antoine Fenoglio, qui accompagne actuellement la rénovation de certains Ibis Styles, propose des interventions qui prennent la forme d’un nouveau storytelling ou qui créent un environnement instagrammable - “pour éviter un budget communication”. “On travaille les couleurs, les poignées de porte, on colle des stickers pour raconter une histoire…” : un réaménagement à budget limité, qui peut être ajusté ou repensé à court terme, si besoin.

 

“Une approche centrée sur l'humain et pas seulement sur l'usager”

Changer de déco, ce n’est que de l’habillage.” Mark Watkins, fondateur du cabinet Coach Omnium, ne mâche pas ses mots : “Dans nos enquêtes de satisfaction, les clients continuent de souligner le côté impersonnel de l’hôtellerie économique, son manque d’accueil ou encore le petit déjeuner décevant. D’ailleurs, un client sur deux seulement prend son petit déjeuner dans un hôtel économiqueAlors tant mieux si les espaces sont plus agréables qu’avant, mais pas sûr que ça donne envie de rester plus longtemps ou que ça fidélise davantage.” Le relooking ne suffirait donc pas à redynamiser une hôtellerie économique, “qui ne fait plus les meilleurs scores de remplissage du secteur hôtelier”, rappelle Mark Watkins.

Aller au-delà de la seule “cosmétique”, Frédéric Lecourt sait faire. Mais cela demande du temps, du recul, de l’expérimental. “Il faut réinventer des expériences d’accueil dans les hôtels économiques”, poursuit celui qui prône le ‘design thinking’. Cette méthode permet “une approche centrée sur l'humain et pas seulement sur l'usager, afin d'améliorer le fonctionnement d'un établissement”, résume le designer.

 

Trouver des concepts qui durent

La démarche compte trois phases préalables : observer la réalité du terrain, en faire émerger des idées et développer des projets à tester in situ, avec un droit à l’erreur. C’est ainsi que des scénarios ont été expérimentés dans plusieurs Ibis, dont celui de Lille (Nord), où les clients ont été conviés à participer à la vie de l'hôtel afin de faire baisser le coût de leur nuitée. Ils ont effectué quelques tâches ménagères, comme faire leur lit, préparer des repas… le tout sans rechigner. Quant à l’Ibis Paris Bastille (XIIe), son hall a été transformé en espace de coworking. “Certaines de ces expériences ont nourri, par exemple, le concept Jo&Joe”, confie Frédéric Lecourt.

Reste qu’au rythme effréné où le comportement des consommateurs évolue, il faut trouver des concepts qui durent et limitent les changements de décor. C’est là que le travail des designers se corse. Même si chez les Sismo, les idées fusent pour incarner, humaniser, pérenniser un hôtel. Frédéric Lecourt parle notamment de “chorégraphier” un accueil, en ne recevant plus en face à face, mais en côte à côte : “Il faut utiliser le design comme un langage.”

Reste à former les équipes à ces nouveaux modes opératoires. Et ce d’autant que dans son approche de ‘design thinking’, Frédéric Lecourt va jusqu’à modifier certaines fiches de poste “pour impliquer le salarié dans l’expérience client”. Ce qui, à terme, vise également à limiter le turn-over.

 

“80 % de chambres standards et 20 % de chambres atypiques”

“Nous misons sur l’hybride”, explique pour sa part Emmanuel Petit, président du groupe Eklo, qui compte aujourd’hui trois hôtels économiques à travers l’Hexagone, mais en prévoit 10 d’ici à 2021 et 40 en 2030. L’“hybride” pour lui, c’est “80 % de chambres standards et 20 % de chambres atypiques”, c’est-à-dire pensées pour accueillir des familles, des copains, des groupes… À cela s’ajoute une cuisine partagée - plébiscitée par Mark Watkins -, “où l’on peut se préparer à manger”, une table d’hôtes, des canapés, un espace de coworking, le tout accessible aux clients de l’hôtel comme aux riverains.

“Nous travaillons avec le Studio Janreji, avec lequel nous avons remporté le Janus de l’espace de vie 2018. Ensemble, nous imaginons une déco qui a une cohérence, un fil conducteur, avec des matériaux bruts, durables, écoresponsables, sourcés en France », poursuit Emmanuel Petit. Autre nouvelle orientation du groupe Eklo : quitter les périphéries pour s’implanter au cœur des villes. Le dirigeant pointe la “facilité d’accès” et l’envie des voyageurs d’être au plus près des “locaux”, pour un prix moyen de 45 € la nuit.

Même parti pris chez Altica qui compte huit hôtels en France, tous rénovés ou en passe de l’être, et souhaite se développer, dès 2022, dans des villes comme Rennes, Nantes ou encore Toulouse. “À terme, nous aimerions passer tous nos établissements en 3 étoiles, en restant attractif avec une nuit à 65 €”, précise Margaux Courtois de Viçose. Et pour cause : comme le rappelle Mark Watkins : “Lorsqu’un voyageur choisit un hôtel économique, le prix reste encore le premier critère de sélection.

design Instagram Hôtellerie #Economique# Eklo #Altica# JoJoe #Sismo# 


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Publié par Anne EVEILLARD



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