Une maison du pays millésimée 1869, à la fois ferme modernisée et auberge à l'ancienne : nous voilà au pays des Trois Frontières, au coeur d'une campagne verdoyante, dans l'établissement de la famille Keff. C'est ici qu'on élève cochons et canards. Ici aussi que l'on mitonne à demeure foies gras (frais, poêlé, en copeaux au sel de Guérande, poêlé au chutney de pommes…) et toutes sortes de charcuteries (saucissons, manchons, magrets, confits, terrines, pâtés et hure de jambon de porc, de cerf et de sanglier). Ici enfin, que l'on retrouve deux caves exceptionnelles où ont été triées, rangées, sélectionnées de très belles bouteilles. Crus du Luxembourg et de la vallée de la Moselle, Bourgognes, Bordeaux, Champagnes de qualité… 70 000 crus, du coin et d'ailleurs, entreposés dans 140 m linéaires de caves voûtées.
Charles Keff reçoit ainsi en hôte attentif, tandis qu'en cuisine, c'est son fils Frédéric qui mène la barque. "Le succès grandissant, nous sommes devenus le plus gros producteur de foie gras en Lorraine avec notre élevage de 8 000 canards, soit 4 t de production par an, se targue ainsi le père Keff. Pour ce faire, nous utilisons un fumoir semblable au fameux tuyé du Jura, c'est-à-dire une cheminée haute de 7 m pour sécher jambons et saucissons."
Des produits "100 % naturels"
Le foie gras de Charles Keff fait un carton. Celui-ci est expédié aux quatre coins du monde (70 % de sa clientèle est étrangère) et son chiffre d'affaires annuel atteint des sommets (3 M€ en 2011). "Je ne dépense pas un centime en produits vétérinaires et je n'utilise aucune farine animale, ni substance chimique. Tous mes animaux, qui disposent de 7 ha de verdure, sont nourris exclusivement de mon blé et de mon orge. Au final, mes produits sont 100 % naturels !"
Il faut dire que pour en arriver là, le producteur a une haute idée du métier : "Faire du foie gras, c'est en soi relativement simple. Mais le plus important, le secret de réussite de l'obtention d'un beau foie gras, c'est de travailler sur la qualité de l'élevage, du gavage, et surtout, la vitesse de transformation : le foie doit être prélevé moins de 8 min après l'abattage. C'est un boulot où il faut être minutieux, ne pas tricher, toujours nourrir les bêtes à la même heure... et alors le résultat sera là." Pour Charles Keff, la fraîcheur du produit est également primordiale. "L'animal tué, une course contre la montre s'engage pour préserver une extrême fraîcheur en raison de son hypersensibilité". Ainsi, à l'auberge Klauss, on déguste un foie gras qui a maximum entre 8 et 10 jours. Au-delà, le restaurateur estime que la qualité du produit descend très vite.
"Personne n'était du sérail"
Autant de professionnalisme force au respect. À fortiori, lorsque l'on sait que Charles Keff a appris le métier sur le tas. Celui qui se rêvait initialement en mécanicien poids lourds, a repris l'affaire de l'arrière grand-père qui avait fait construire une maison en 1869. Un siècle plus tard, celle-ci devient un paisible café de campagne. Charles, encore jeune, travaille à l'auberge. Rapidement, l'idée le traverse de transformer l'antique établissement en un restaurant de spécialités campagnardes. "Personne n'était du sérail, se remémore-il. Mon père travaillait à l'usine et ma mère et moi n'y connaissions rien." Il n'empêche : au bout d'une petite année, le succès venant, Charles se consacre entièrement au bar-restaurant familial. Une décennie plus tard, en 1979, il construit de ses mains un fumoir pour la production de jambon et de charcuterie et devient peu à peu expert en vins.
L'homme, qui a plus d'un tour dans son sac, se lance ensuite dans la culture du blé et de l'orge. "Vu que je disposais de terrains à côté de mon auberge, je me suis dit qu'il fallait les exploiter !" Dans son enthousiasme, il se met à élever ses propres cochons, puis commence à produire poulets, pintades, coqs et canards. "L'idée de fabriquer du foie gras m'est venue au milieu des années 1980, lors d'une réunion du syndicat hôtelier. Je me suis renseigné, et très vite j'ai sauté le pas." C'est ainsi qu'il investit dans un abattoir, embauche de la main d'oeuvre pour l'épauler dans ce nouveau projet, puis apprend à gaver : "On m'a appris le gavage ''musical'', dans les règles de l'art, une façon de traduire une présence permanente et d'être le plus doux possible avec les bêtes."
Trente ans plus tard, Charles a tout autant d'énergie à revendre. Parmi ses projets les plus aboutis, la construction d'un hôtel de 25 chambres attenant à l'auberge. Si ce producteur de foie gras a encore quelques années d'activité devant lui, il pense déjà à la suite. Comme pour s'assurer que les efforts d'une vie ne seront pas vains. Que Charles Keff se rassure : son fils, le chef Frédéric, lui a assuré qu'il reprendrait un jour son affaire !
Publié par Mylène SACKSICK