L'Hôtellerie Restauration : Pourquoi l'estimation de la valeur d'un fonds ne peut pas uniquement se baser sur le chiffre d'affaires des trois dernières années ?
Philippe Maître : Le chiffre d'affaires (CA) nous renseigne sur la fréquentation de l'établissement et donc sur la clientèle, qui est l'élément le plus important du fonds. Or, d'une part, le CA mesure l'activité passée, et c'est l'avenir qui nous intéresse, et, d'autre part, il ne nous renseigne pas sur le niveau des charges ainsi que sur la rentabilité. Or, la question que se pose le repreneur - et son banquier - est la suivante : l'activité future me permettra-t-elle de rembourser les emprunts et de faire vivre ma famille ?
Lors de cette estimation par rapport au chiffre d'affaires, vous basez-vous sur le CA TTC ou HT ?
Les méthodes d'évaluation par les barèmes retiennent le chiffre TTC, parce qu'il s'agit de la recette et du prix facturé aux clients (on prend aussi parfois la recette journalière). Le professionnel de la transaction préférera retenir le CA HT qui est indiqué dans les documents comptables. Par ailleurs, le raisonnement hors taxe, c'est-à-dire hors TVA, est plus neutre : l'entreprise n'est que le collecteur de cette taxe supportée par sa clientèle. Enfin, cela permet d'y voir plus clair quand différents taux de TVA s'appliquent en raison de l'activité de l'affaire. En revanche, un expert en évaluations commerciales utilisera le CA TTC pour déterminer la valeur selon la méthode des barèmes, notamment en expertise judiciaire.
Pourquoi estimez-vous nécessaire de mesurer la rentabilité en reconstituant l'EBE comptable ?
Parce que le bénéfice comptable n'est pas suffisamment pertinent pour apprécier la rentabilité objective de l'affaire. Il intègre notamment certains choix du dirigeant en matière de rémunération. Pour cela il est nécessaire de corriger certaines charges et certains produits. Nous devons donc reconstituer tous les éléments qui ne sont pas intimement liés à l'activité et qui ne possèdent pas un caractère récurrent. Il s'agit donc bien du cash-flow de l'entreprise, ce qui va permettre à un repreneur d'établir son prévisionnel. Mais cela nécessite de bien comprendre et de bien analyser la comptabilité.
Une fois l'EBE reconstitué, comment déterminez-vous une valeur de marché ?
C'est bien là tout l'intérêt de recourir à un spécialiste de la cession de fonds de commerce. Son expertise professionnelle va lui permettre d'appliquer au bénéfice reconstitué un coefficient multiplicateur qui varie actuellement entre 2 et 5 (soit entre 2 et 5 années de bénéfices ou de cash-flow). Pour déterminer le coefficient applicable, il devra tenir compte principalement du secteur d'activité, de l'emplacement, de la conjoncture économique et des perspectives d'évolution, des taux d'intérêts d'emprunt, de l'état général du matériel et des agencements, du respect des normes en matière d'hygiène, de sécurité et d'accessibilité, et des risques juridiques (bail commercial, contrats de travail, de franchise, etc.) ainsi que des risques liés à l'activité (notamment en raison du départ de l'ancien dirigeant). En outre, l'intermédiaire en transmission d'entreprises et de commerces peut confronter son résultat aux ventes déjà réalisées sur ce même segment, ce que bien évidemment un cédant ne pourra pas faire seul. Sa connaissance du marché sectoriel de l'activité, mais aussi le territoire sur lequel le fonds est implanté est déterminante pour apprécier la valeur d'une affaire.
Publié par Propos recueillis par Tiphaine Beausseron