Alain Dutournier lui avait confié le piano de son Trou Gascon, mais sa passion du poisson en a décidé autrement… Thibault Sombardier a pris depuis septembre la relève de Mickaël Féval au restaurant Antoine. Ce dernier avait offert sa première étoile en 2011 à cet établissement parisien déjà réputé pour son exigence et la qualité de sa marée. Dans un sourire mutin, le jeune chef ne manque pas de préciser que, "traumatisé par le poisson de la cantine", il lui aura fallu des années avant de s'intéresser réellement à la chose. Son passage au Carré des Feuillants, puis au Meurice, où il aborde des produits d'exception, de même qu'une pratique assidue de la chasse sous-marine en Méditerranée ont changé la donne. Désormais intarissable sur le sujet, il faut l'entendre décrire avec gourmandise les saint-pierre qu'on lui expédie de Saint-Jean-de-Luz - "des pièces magnifiques de deux à trois kilos" - qu'il propose à la carte en papillote avec truffe noire, poireaux, jus de coques et livèche (64 €) ou bien les castagnoles, qu'il a testées dernièrement "crues, cuites et confites" avant de les servir, "parce qu'on cuisine avant tout ce que l'on a envie de déguster".
Changer pour perpétuer
À l'exception des grands classiques de la maison - bouillabaisse, bar grillé et sole meunière -,Thibault Sombardier, épaulé par une équipe entièrement nouvelle a revisité la carte d'Antoine des entrées aux desserts (concoctés par le chef pâtissier Louis Tocheport, ex-Carré des Feuillants et Shangri-La), en assemblant la somme de ses expériences pour proposer "une cuisine précise, rigoureuse, au plus près du produit". Son souci de "justesse" (un mot qui lui est cher), il le doit autant à Yannick Alléno qu'au souvenir de ces pêcheurs "ouvrant délicatement des coquillages au feu de bois" rencontrés lors d'un voyage au Vietnam. Ennemi de l'artifice, il va se concentrer sur la découpe d'un poisson cru ou une cuisson minute et proposer à part des accompagnements subtils (purées de légumes et condiments) en remplacement des sauces, afin de ne pas dénaturer sa matière première. Sa quête de finesse s'exprime dans le dressage et le travail des garnitures comme dans son souci d'une proposition "variable au gré des saisons et des arrivages" et encline au sur mesure "malgré la part de risque que cela comporte en termes de service. Aussi fougueux que déterminé, Thibault Sombardier a bien carte blanche, mais avec la mission de (re)fidéliser une clientèle et de conforter une réputation établie par son prédécesseur. Un challenge qui semble galvaniser la créativité de ce chef, dont la prunelle et le verbe sont aussi vifs que les poissons qu'il travaille.
Publié par Félicie Geslin