Barbu, les bras tatoués, les cheveux ramassés en chignon, Pierre
Jancou boit un café dans le restaurant parisien Heimat, où il est mandaté
depuis janvier 2015 pour donner un style, un ton et du goût à une cuisine
inspirée par l'Italie. D'ailleurs, dans les coulisses, entre le piano et les
frigos, on ne parle que la langue de Dante. "La cuisine, ce n'est pas venu
tout de suite, confie-t-il. Quand j'ai quitté Zurich pour Paris, à l'âge
de 18 ans, c'était pour devenir acteur. Mais pour gagner ma vie, j'ai multiplié
les petits jobs : j'ai travaillé dans une pizzeria, pris des boulots de
serveur dans des brasseries, des restaurants, pour finir barman aux Bains
Douches." À ce parcours s'ajoute une initiation familiale à la gastronomie. "Mon
père, un passionné de cuisine, avait un restaurant à Zurich. Il a forgé mon
goût en me faisant découvrir les tables d'Alain Chapel, Michel
Guérard, Roger Vergé…"
Sa première expérience avec la restauration remonte au début des années
1990. Avec "les moyens du bord", il ouvre La Bocca, rue Montmartre (IIe).
Stars, VIP et noctambules en font leur repère et le lieu ne désemplit pas. Mais,
au bout de huit ans, Pierre Jancou veut prendre du recul. Il quitte Paris pour
Modène, en Italie, où il intègre une école de cuisine. Pour apprendre les
bases, les recettes et découvrir les produits. Car ils sont au coeur de sa
conception de la bistronomie : une approche de la cuisine à la fois brute,
simple, calquée sur le marché et les saisons.
Défenseur des vins nature
En 2001, il est encore en Italie lorsqu'il apprend, dans une petite
annonce, qu'une cave à vins à vendre, rue des Quatre Vents, à Paris (VIe). "Je
connaissais l'endroit. J'ai appelé et, dans la foulée, j'ai quitté Modène pour
Paris. C'est comme ça que j'ai repris La Crémerie", se souvient-il. Dans
cette petite boutique, il va installer quelques tables pour faire découvrir quelques
trésors d'Italie - dont un parmesan de sept ans d'âge-, ainsi que des vins
nature, dont il va devenir le défenseur. Au bout de cinq ans, il veut bouger, "pour
plus grand". Car s'il a le goût des bonnes choses, il a aussi celui du
risque. Dès qu'une affaire marche, il aspire à en créer une nouvelle. Une
dynamique rythmée par sa vie privée, qu'il ne délaisse pas au profit des
fourneaux : ses deux filles et sa maison dans la Drôme, c'est sacré.
"J'aime dénicher des endroits cachés"
En 2007, il quitte La Crémerie et le VIe arrondissement pour s'aventurer
dans le Xe, "pas encore à la mode", où il a repéré une ancienne
imprimerie. "J'aime dénicher des endroits cachés", explique le
cuisinier. C'est donc dans le passage des Panoramas qu'il va créer le
restaurant Racines. "Personne ne croyait qu'une affaire pourrait marcher
dans un tel lieu." Pourtant, le succès est au rendez-vous, "du jour au
lendemain". Sa recette ? Un mix entre authenticité, qualité,
proximité, sincérité. "Je privilégie le produit sans compromis et les vins
très nature, tout ce qui permet de raconter une histoire derrière chaque plat,
derrière chaque verre", explique-t-il. Mais, au bout de deux ans et demi,
les contraintes familiales le rattrapent. Il vend Racines et part s'installer
un temps à la campagne.
"J'ai créé Vivant avec 50 000 € en poche"
Il revient à Paris au début des années 2010. "Avec 50 000 €
en poche", il ouvre le restaurant Vivant dans une oisellerie de la rue des
Petites Écuries (Xe). Vivant, un nom à l'image de sa cuisine, ses plats et lui.
Car sa 'bougeotte' est aussi une façon de se remettre en
cause : "même si on apprend avec l'âge, je doute tout le temps".
Vivant se duplique en Vivant Cave, puis, une fois de plus, Pierre Jancou revend
tout en 2014.
Depuis, il a endossé la panoplie de gérant du restaurant Heimat, au pied
de la maison où Molière est mort, à deux pas du Palais Royal. "On est venu me
chercher. Je suis associé et donc patron sans la contrainte du RSI !"
Quant à être devenu l'une des égéries des Galeries LaFayette depuis cette
rentrée, Pierre Jancou avoue : "c'est
bizarre et ça me rappelle mon arrivée à Paris, où j'ai été mannequin aussi."
"Je suis un électron libre, conclut-il. Mon moteur n'est pas l'argent,
mais la création, l'envie d'être libre. Mon combat, c'est la cuisine.
Actuellement, je m'intéresse de près au pain et, pour moi, le discours du sans
gluten est une farce : il y a le bon et le mauvais gluten… Quant à ma
porte, elle est toujours ouverte aux jeunes qui ont un projet. Car il reste des
affaires à chiner dans Paris, dans des quartiers en devenir, où on peut tenter
quelque chose : j'ai acheté Vivant comme ça."
Publié par Anne EVEILLARD