Réussite : Marcel Ravin, l'ovni devenu chef

Monaco (Monaco) Son parcours sort des sentiers battus. Passionné de cuisine, il a slalomé entre la Martinique et la métropole avant de trouver ses marques en Alsace. Aujourd'hui chef du Blue Bay au Monte-Carlo Bay Hotel & Resort, Marcel Ravin n'en oublie pas pour autant son passé composé. Au contraire, il en a fait une force.

Publié le 13 avril 2016 à 12:16
"Petit garçon, en Martinique, je m'amusais avec les casseroles et la dînette de ma soeur. Je jouais au chef. Mais c'est ma grand-mère qui m'a donné envie de cuisiner : chaque jour, elle préparait les repas de toute la famille, en essayant de ne pas se répéter, d'être inventive, imaginative. Je l'observais et je lui posais des questions. À 16 ans, j'ai intégré un lycée professionnel, toujours en Martinique, en vue de travailler dans le bâtiment. Mais je n'ai pas du tout aimé cette formation. Je séchais les cours pour aller voir les coulisses des petits restaurants de l'île : je regardais les cuisiniers travailler. Mais, adolescent en Martinique, dire que l'on a envie de devenir cuisinier, c'est difficile à faire comprendre. Là-bas, la cuisine, c'est avant tout une affaire de femmes... Alors, quand je me suis inscrit au CFA, mon père m'a fait la tête. Quant à mes copains, qui s'échangeaient des cassettes audio et des 33 tours, ils ne comprenaient pas pourquoi j'avais le nez dans les livres d'Auguste Escoffier. Reste qu'à l'examen pour décrocher mon CAP, j'ai dû et su préparer une quiche lorraine et un navarin d'agneau. Nous n'étions pas nombreux à en être capables sur une île dominée par la cuisine antillaise.

"Avant l'Alsace, je n'avais jamais vu la neige"

J'avais à peine 20 ans quand j'ai quitté la Martinique pour la métropole. Le choc des cultures a été brutal. Surtout que je suis arrivé, sans transition, au château d'Isenbourg en Alsace. J'étais un peu comme le héros du film Rasta Rockett, qui quitte la Jamaïque pour le froid de Calgary. Moi, avant l'Alsace, je n'avais jamais vu la neige… J'arrivais dans les cuisines avec mes Damart ! Tous les autres riaient. J'étais perçu comme un étranger, un ovni. Et puis je devais tout réapprendre, car on ne travaille pas les mêmes produits en Martinique et à Rouffach (68) : je n'avais jamais vu de vrais artichauts avant la métropole. Un an après, je suis parti travailler à Nancy (54), à la Toison d'or, une table alors auréolée d'une étoile Michelin. J'y suis resté quatre ans, avant de revenir en Martinique pour un poste de chef au restaurant La Plantation. À l'époque, beaucoup d'hôtels ouvraient aux Antilles. J'avais 25 ans, un très bon salaire et je retrouvais la mer, le soleil, la famille. Malgré cela, j'ai voulu revenir en métropole pour intégrer une belle maison. J'ai donc tout plaqué et je suis reparti de zéro : je suis revenu à Nancy, en tant que commis, au Smic, chez un chef en quête d'étoile. Puis, j'ai rejoint la chef Marie-France Ponsard, qui avait une étoile, au Bistroquet à Belleville (54). Avec elle, j'ai appris à mettre de la douceur et de la tendresse dans la cuisine, à ressentir une émotion, un vrai plaisir quand on réalise un joli plat en équipe. Une belle expérience qui m'a mené ensuite au Méridien Part-Dieu à Lyon (69) en tant que sous-chef exécutif, puis comme chef au Méridien de Bruxelles.

Dès l'âge de 16 ans, j'esquissais des recettes sur des bouts de papier : je crois que j'avais déjà l'âme d'un compositeur. J'avais la sensation que ce métier m'était destiné. Aujourd'hui encore, je me surprends à inventer, créer des plats sans aucune phase de test et les choses fonctionnent. Sans doute parce que je me focalise sur les produits de saison, comme ma grand-mère qui ne préparait que les produits de son potager. Cette habitude familiale est devenue un réflexe aujourd'hui au Blue Bay, le restaurant du Monte-Carlo Bay Hotel & Resort où je suis chef depuis son ouverture en 2005. 

"Il faut savoir être patient"

D'emblée, intégrer cet établissement et bâtir une équipe, c'était un beau challenge. J'ai vécu cela comme une métamorphose progressive. Dans ce métier, il faut savoir être patient. J'ai enfin chassé mes vieux démons : en effet, ce n'est pas simple de trouver sa place quand on est l'élève de personne. J'ai appris la gastronomie française dans les livres et pas avec un Paul Bocuse. Et puis, ironie du sort : en 2007, les 81 ans de Paul Bocuse ont été fêtés au Monte-Carlo Bay. Une pléiade de chefs étoilés sont venus goûter ma cuisine. Autre juste retour des choses : aujourd'hui, j'interviens à l'école hôtelière de Martinique, qui n'existait pas quand j'étais jeune. Je rencontre les élèves, j'organise des dîners de gala avec eux, je parraine des formations. Je soutiens aussi les enfants défavorisés de l'association L'Espérance. Je participe à un dîner de charité, chaque année, que je prépare avec eux : je les emmène en cuisine, pour travailler des produits des Antilles et de métropole. J'aime transmettre et voir l'émerveillement des enfants. Ils me rappellent que ce métier apporte beaucoup de bonheur. Quant aux plus jeunes qui souhaitent devenir cuisinier, je les incite à savoir écouter, ne pas perdre leur identité, être ouvert au monde et y croire vraiment."

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Publié par Anne EVEILLARD



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