"J'ai commencé à m'entraîner pour le Bocuse d'or, il y a neuf ans. Cela représente des milliers d'heures de travail. À chaque fois, je devais d'abord remporter la sélection danoise. Le niveau était déjà élevé car nous avons au Danemark beaucoup de jeunes chefs de grand talent. Lorsque j'ai décidé de tenter pour la troisième fois le concours, il fallait que ce soit la dernière", confie Rasmus Kofoed, avec un sourire blagueur. Avant de tenir la statuette dorée à l'effigie de Paul Bocuse entre ses mains, le jeune Danois a préparé et concouru lors de 3 éditions : il recevait le bronze en 2003, l'argent en 2005 et l'or, enfin, en 2011. Sur l'affiche que chaque candidat doit créer pour le concours, il pose les bras croisés, regard de tueur, pour faire comprendre sans ambiguïté qu'il est venu pour gagner et que rien n'entamera sa détermination. Rasmus joue sur le second degré, tout en faisant passer un message. Il a néanmoins fourni un travail de titan et démontré qu'il avait une volonté de fer, un grain de folie aussi, sûrement. Mais son acharnement a payé et les professionnels qui ont assisté à son ascension lui vouent une véritable admiration.
Un chef devenu ambassadeur de la cuisine danoise
Au Danemark, Rasmus Kofoed est très connu. Le Bocuse d'or a évidemment contribué à sa notoriété. Lorsque Mary, la princesse héritière du Danemark va en Australie (dont elle est originaire) promouvoir les produits danois, elle demande à Rasmus de l'accompagner pour mettre ces produits en valeur en les cuisinant. La princesse et le cuisinier attirent les médias. Cette image, il s'en sert aussi dans les écoles pour inciter les jeunes à embrasser la carrière de cuisinier. Un film documentaire racontant son histoire avec le concours, de ses entraînements jusqu'à la victoire, y est diffusé.
Rasmus Kofoed reconnaît volontiers que le Bocuse d'or lui a été utile pour se lancer. La notoriété ouvre des portes et fait gagner du temps, mais le jeune homme avait ouvert son restaurant à Copenhague depuis longtemps : Geranium, un petit établissement avec jardin. En septembre 2010, alors qu'il était dans la dernière ligne droite avec la finale internationale en janvier ; il lançait une deuxième version de l'établissement. Un restaurant de 50 couverts, avec une partie banqueting ou salon privé dans un espace modulable allant jusqu'à 80 places. Le tout en haut d'un immeuble avec une vue imprenable sur les côtes suédoises, les bateaux, les arbres. L'on est pourtant au coeur du stade de football de Copenhague. On n'arrive pas par hasard à Geranium : il faut traverser le parking attenant au stade, trouver l'immeuble et prendre l'ascenseur. Quand les portes s'ouvrent, on entre dans un autre univers : un design contemporain réchauffé par une cheminée, des bougeoirs et minis vases remplis de blé. "Ce n'est pas un restaurant dans une configuration traditionnelle, raconte le chef. Thomas Keller a bien ouvert son restaurant Per Se, à New York, dans un centre commercial. Avec mes associés, un cuisinier qui est passé aujourd'hui à la direction de la salle, et un investisseur, nous avons choisi cet emplacement en raison de la vue et de l'espace que nous pouvions aménager à notre idée, à commencer par une cuisine ouverte où l'on voit aussi bien la salle que l'extérieur. Il faut avoir de bonnes conditions pour être heureux dans son travail."
Le restaurant n'est ouvert que quatre jours par semaine. Du jeudi au samedi au déjeuner (premier menu à 93 €), et du mercredi au samedi le soir, où il propose son Universe Tasting Menu (173 € et 160 € de plus avec les vins). L'équipe (15 personnes en cuisine, 11 en salle) arrive à 9 h 30 le matin pour prendre tranquillement le petit déjeuner tous ensemble. "Cela donne de la cohésion à l'équipe de prendre le temps de se retrouver. Il faut être heureux dans ce que l'on fait. C'est aussi plus facile de fidéliser le personnel avec trois jours de congés. Si je voulais ouvrir un jour de plus, je devrais embaucher. Nous avons trouvé un rythme qui nous permet d'être heureux et fiers de ce que l'on fait."
Un ballet savamment orchestré
Les clients viennent découvrir sa cuisine en une vingtaine de plats. Au passe, les cuisiniers dressent les plats à la pince. Tous en blanc avec des toques dans une cuisine immaculée. En salle, en uniforme noir et gris, le personnel assure un service au cordeau. La synchronisation avec les cuisiniers - qui effectuent une partie du service - est un ballet savamment orchestré. Mais Rasmus Kofoed valorise aussi le travail de la salle à travers ses plats finalisés devant le client par le maître d'hôtel. On verse un bouillon, on saupoudre, on dépose un petit fagot d'herbes à la pince, on présente les ingrédients avant leur préparation… Les plats racontent une histoire. Son plat phare, il l'avait présenté au Bocuse d'or. Baptisé Le Jardin, il est composé d'un bouillon à l'agneau fumé versé sur des fleurs et des herbes qui évoluent suivant les saisons. On trouvera également à la carte la Poitrine de porc confite cuite à basse température présentée sous forme de bâtonnets avec des pelures séchées et frites de topinambour, jus de viande au beurre noisette et graines germées de poireau et un dessert Déclinaison autour du lait. En avril 2012, le guide Michelin lui décernait sa première étoile.
"La nomination de Noma comme meilleur restaurant du monde et mon titre de Bocuse d'or sont arrivés quasi simultanément. Cela a rendu la cuisine encore plus populaire au Danemark et attiré aussi des clients étrangers. La cuisine nordique a vraiment le vent en poupe, estime Rasmus Kofoed. Les stagiaires viennent du monde entier. Chacun souhaitant retourner ensuite chez lui ouvrir son établissement. Cela donne à coup sûr des équipes acharnées au travail, qui veulent apprendre et avancer, qui s'inscrivent dans un courant où souffle un vent de liberté. Ici, le poids de la tradition ne se fait pas ressentir." La cuisine nordique est en train de s'inventer, et elle a déjà trouvé quelques icônes. Avec une statuette de Paul Bocuse en bronze, argent et or, qui trône en cuisine.
Publié par Nadine LEMOINE