Des années plus tard, elle n'a rien oublié. Magali Sulpice se souvient avec émotion de ces repas dominicaux où son père l'entraînait à la cave pour choisir une belle bouteille qu'elle déposait ensuite, religieusement, sur la table. Elle en est certaine : sa vocation est née là. "À douze ans, je savais que je voulais devenir sommelière", assure-t-elle. Quatre ans plus tard, la Rennaise franchit les portes du lycée hôtelier de Saint-Méen-le-Grand où elle passe cinq ans et récolte ses diplômes : BEP, CAP, bac pro et mention complémentaire de sommellerie. En Bretagne où ne pousse pas l'ombre d'un raisin ? "Cela me permettait un regard panoramique sur toutes les régions", justifie-t-elle.
Au sortir de l'école, elle débarque en Savoie, ravie de venir à la découverte d'une "petite région viticole et de ses vignerons". Elle débute au Bistrot Gourmand à Annecy, pense aller ensuite à l'étranger mais ses rêves de départ s'évanouissent après une rencontre avec Bruno Bozzer, le sommelier de la maison, qui lui permet de pousser la porte du restaurant de Marc Veyrat. La voilà donc commis sommelier pour la saison d'été 2000, découvrant un nouvel univers. Après un séjour en Angleterre, elle revient chez Marc Veyrat, à l'été 2001. Elle y remarque, avec un certain intérêt, un jeune cuisinier de la brigade - Jean Sulpice -, natif d'Aix-les-Bains. Il est là depuis plusieurs années et vit chez Veyrat au rythme des saisons. À l'hiver 2001, voilà donc le cuisinier et la sommelière chez le même patron, mais à Megève. C'est là que les deux décident de prendre leur envol.
Ce sera donc Val Thorens, à 2 300 mètres d'altitude : un choc pour une jeune femme habituée aux plages bretonnes. Mais une opportunité est à saisir et le couple n'entend pas laisser passer sa chance. "Au départ, nous avons pensé faire une saison, en se disant qu'on verrait bien après", dit-elle. Finalement, ils s'installent, récoltant une première étoile au guide Michelin en 2006 et une deuxième en 2010 qui fait de L'Oxalys le restaurant "le plus haut perché d'Europe" à ce niveau !
"J'ai envie de faire partager mes découvertes"
Et Magali ? "Ma passion avec le vin s'est amplifiée. Ce rapport avec la terre me fascine. Et au restaurant, j'avoue qu'il en est de même avec le cérémonial du service et l'harmonie de la salle qui contraste singulièrement avec le moment du coup de feu en cuisine."
Son rôle ? "La relation, le lien entre les cuisiniers qui mettent toute leur âme dans leur assiette comme les vignerons dans leur vin. Et j'ai la chance d'avoir un mari chef qui apprécie les vins "
Des semaines durant, elle part à la découverte de nouveaux flacons. Elle fait évoluer sa sélection (autour de 500 références) selon les coups de coeur ressentis à l'occasion des rencontres et des dégustations. Et la cuisine dans l'affaire ? "Certains plats ont été construits en fonction du vin", explique-t-elle, racontant que l'idée du pigeon en croûte, foie gras et réglisse (devenu un classique de la maison) est née après avoir goûté avec Jean le vin "velouté, aux notes animales et réglissées", du Château de la Verrerie en côtes du lubéron.
Elle avoue aussi que sa vision des choses a été confortée depuis la naissance de Paul, il y a quatre ans et demi. "Avec l'arrivée de mon fils, à qui je m'efforce de consacrer beaucoup de temps, j'ai pu constater qu'il y avait une analogie avec le vin. On le travaille tout au long de l'année, on le soigne, on y porte attention. Il y a les vendanges bien sûr, mais ensuite tout le travail dans le chai où il acquiert sa personnalité. C'est un être vivant", s'enflamme-t-elle.
Elle aime passer du temps à la cave, son univers. "Seule, je range et j'apprécie ces moments de solitude. Je jubile à l'idée d'aller passer une heure ou deux au milieu de mes bouteilles, les ranger, retrouver des vins que j'ai pu oublier." Et de poursuivre : "J'ai envie de faire partager mes découvertes et de donner à nos clients la véritable image des vins de Savoie. Lorsque nous sommes arrivés à Val-Thorens, certains en parlaient comme des vins pour la raclette ou la fondue. J'ai fait tomber cette idée. "Chez nous, les vins de Savoie sont en tête de la carte et on ne vend pas des étiquette", enchérit Jean Sulpice. "Sans le conseil du vin, le repas ne peut pas être sublimé. La magie de Magali, c'est sa manière de choisir le vin qui va sublimer ma cuisine", s'enthousiasme-t-il.
Publié par Jean-François MESPLÈDE