L'Hôtellerie Restauration : Votre cabinet, spécialisé en cessions de CHR, a notamment développé une expertise sur les bar-tabacs. Comment ce segment se caractérise-t-il aujourd'hui ?
Philippe Raguénès : Depuis plusieurs années, ce secteur souffre d'une baisse de chiffre d'affaires en raison des politiques publiques de lutte contre le tabagisme et la consommation excessive d'alcool, et de l'apparition de la cigarette électronique. Cependant, ce segment représente un quart de nos affaires en portefeuille. Nous le considérons comme une valeur sûre dans le Finistère où nous réalisons de belles ventes.
Comment expliquez-vous ce paradoxe ?
C'est un secteur encore ouvert aux primo-accédants car il ne nécessite pas d'expérience professionnelle particulière. La création de nouveaux établissements est très encadrée par la loi et limite la concurrence. Le côté multi-produits - qui accompagne l'exploitation du fonds quand il allie avec le bar, PMU, Française des jeux et presse - rassure les acquéreurs et les banques car il diversifie la clientèle et les sources de chiffre d'affaires [CA] potentiel. D'ailleurs, l'activité bar est devenue une condition indispensable pour qu'une banque accepte de financer une reprise. Cette activité a intérêt à générer au moins 70 % du CA et le fonds doit dégager un excédent brut d'exploitation [EBE] minimum de 60 000 € pour être rentable. Lorsque le fonds de bar-tabac est en perte de vitesse, sa valorisation diminue en conséquence et permet alors une reprise à un prix très raisonnable, ouvrant ainsi des perspectives de succession réussie pour des professionnels du bar-tabac ou des primo-accédants.
L'encadrement légal de l'activité ne limite-t-il pas le nombre de cessions ?
Les changements de propriétaires sont limités. Néanmoins, sur 520 tabacs ou bar-tabacs dans le Finistère, on estime le taux de rotation à 10 %, dont les rachats de fonds, les mutations entre époux et les fermetures définitives. La part des rachats de fonds nous laisse de belles opportunités de cessions.
Notre moyenne de prix de cession sur les deux dernières années s'établit à 422 000 € pour un CA moyen de 294 000 € et un Perf [potentialité de l'entreprise et rentabilité financière, équivalent de l'EBE retraité, c'est-à-dire EBE + économies réalisables + amortissement, NDLR] moyen de 103 000 € soit un ratio de 4,1 fois le Perf, étant précisé que des transactions de grosses affaires réalisées en 2014 ont contribué au niveau élevé de ces chiffres.
Quels sont les prix moyen de vente des fonds de restauration ?
Nous sectorisons quatre catégories : le bar-brasserie, le restaurant traditionnel, la pizzeria-crêperies et la vente à emporter-restauration rapide. Sur les années 2013-2014, le prix de vente moyen d'un fonds pour ce groupe d'activité est de 271 000 € pour un chiffre d'affaire moyen de 323 000 € et un Perf moyen de 75 000 €, soit un ratio de 3 fois le Perf. Un bar-brasserie se vend en moyenne 80 % de son CA HT, tandis que le restaurant-pizzeria sera plutôt autour de 65 %. Concernant les restaurants gastronomiques - plus difficiles à estimer du fait de la personnalisation par le chef - nous l'estimons sur une base de 30 % du CA HT. Les fast-food s'estiment à 70 % de leur CA HT. Et la crêperie pure à 80 % du CA HT.
Le marché souffre-t-il du contexte économique actuel ?
Incontestablement. Les acquéreurs se font plus rares depuis deux ans. L'esprit d'entreprendre est grippé dans un carcan administratif, social, fiscal et une ambiance anxiogène diffusée par les médias en continu. Il en résulte une spirale où s'enchaînent des chiffres d'affaires en baisse face à une fiscalité locale et personnelle - notamment le RSI - en hausse constante, un rallongement des délais de vente des biens de un à deux ans, et la baisse du nombre des transactions.
En plus d'impacter le volume des ventes, la réglementation complexifie le processus de cession. À côté des nouvelles étapes administratives qui s'accumulent - obligation d'information des salariés, d'état des lieux contradictoire, etc. -, il faut de plus en plus avoir recours à des montages juridiques avec création de holding et cessions de parts sociales pour réaliser une vente qui ménage l'intérêt financier de l'acquéreur et du repreneur. Parallèlement, les banques, elles, privilégient les cessions de fonds de commerce car elles n'impliquent pas de reprise de passif.
Quels sont ceux qui sont le mieux placés pour réussir une acquisition de fonds de CHR ?
Les mieux placés sont les professionnels du secteur avec une belle expérience professionnelle et un apport conséquent. On remarque par ailleurs quelques 'prédateurs' professionnels, c'est-à-dire des professionnels installés qui saisissent l'occasion d'une liquidation judiciaire d'un confrère pour reprendre l'affaire à bas prix, investir pour remettre à neuf l'agencement et remettre l'affaire sur pied dans le but de revendre en réalisant un beau profit.
Publié par Propos recueillis par Tiphaine Beausseron