Le Brésil fait sa révolution gastronomique

Brésil Longtemps cantonné à ses recettes traditionnelles, le pays explore désormais de nouveaux horizons. Les produits locaux, mâtinés de techniques étrangères, ont ainsi gagné leurs lettres de noblesse.

Publié le 10 juillet 2014 à 11:43

Étonnant patchwork culturel, la cuisine brésilienne mélange les traditions portugaises, indiennes et africaines - sans oublier quelques touches italiennes, allemandes ou même arabes. Résultat : les recettes traditionnelles (feijoada, moqueca, riz et haricots secs, plats à base de manioc…) côtoient les pâtes, le risotto, la morue, les saucisses et la bière.

Dans ce millefeuille culinaire, il manquait pourtant une couche : un répertoire plus haut de gamme. Curieusement, ce sont deux chefs français qui entament la première révolution gastronomique du Brésil, au début des années 1980. À l'époque, Claude Troisgros (le frère de Michel) et Laurent Suaudeau s'expatrient à Rio de Janeiro : le premier pour le compte de Gaston Lenôtre (Le Pré Catelan,), le second pour celui de Paul Bocuse (Le Saint-Honoré). La dictature militaire bloque toute importation, rendant très ardu le travail des deux compatriotes. Sans beurre, ni crème ou huile d'olive en stock, le tandem se risque donc sur les marchés locaux. Une démarche qui paraît insensée. Laurent Suaudeau va jusqu'à "mettre sa démission dans la balance" pour obtenir la permission de cuisiner des produits typiquement brésiliens. "On nous a pris pour des fous. Les Brésiliens pensaient que l'élite carioca refuserait de manger de la courge farcie par exemple", se souvient-il. Contre toute attente, l'initiative est saluée par la critique. En alliant une méthodologie française et des produits brésiliens alors dénigrés ou méconnus, ces deux pionniers ont inventé la "nouvelle cuisine franco-brésilienne", et ouvert la voie à une génération de jeunes chefs brésiliens.

 

L'Amazonie, source d'inspiration

À commencer par le plus célèbre d'entre eux, Alex Atala. Tombé par hasard dans la marmite de la gastronomie, cet ancien DJ underground et peintre en bâtiment intègre l'école hôtelière de Namur (Belgique) avant de passer par les cuisines de Jean-Pierre Bruneau ou encore Bernard Loiseau. À 25 ans, il revient à São Paulo et ne tarde pas à être élu meilleur jeune chef par l'Association brésilienne des bars et restaurants. En 1999, il ouvre le D.O.M (Deo Optimus Maximus) dans l'un des quartiers chics de la capitale économique du Brésil. Encensée par les médias locaux, l'adresse fait partie, depuis 2006, du classement des 50 meilleurs établissements mondiaux publié par la revue britannique Restaurant.

Sa marque de fabrique ? Mettre en exergue les produits des terroirs brésiliens et tout particulièrement ceux d'Amazonie. La région est devenue le garde-manger fétiche du chef. "L'Amazonie est la nouvelle frontière des saveurs. Sa richesse et ses possibilités sont infinies", s'enthousiasme-t-il. Alex Atala se veut un explorateur alchimiste, capable de travailler pendant des mois sur un ingrédient afin d'obtenir l'effet recherché. Dans son restaurant, il décline des saveurs aussi variées que la saùva (une grosse fourmi d'Amazonie épicée, aux saveurs de poivre, citronnelle et clou de girofle, servie sur un morceau d'ananas), le tucupi (jus jaune extrait de la racine de manioc traditionnel d'Amazonie), le coeur de palmier pupunha, le jambu (des feuilles à l'effet anesthésiant et picotant en bouche), la priprioca (une racine utilisée dans l'industrie cosmétique qu'il est le premier à cuisiner), ou encore des boissons à base de yucca.

Jonglant entre traditions culinaires brésiliennes et esprit contemporain, Alex Atala a métamorphosé la cuisine, mais également l'image du chef. Tatoué, barbu, provocateur et médiatique, il affiche aussi un fort engagement à travers l'institut ATA. Son objectif : défendre les ingrédients régionaux, l'environnement, les petits producteurs et les recettes ancestrales en voie de disparition. Le magazine Time a d'ailleurs mentionné Alex Atala dans sa liste 2013 des 100 personnalités les plus influentes de la planète, "pour avoir inscrit le Brésil sur la mappemonde de la gastronomie".

Dans son sillage, d'autres chefs signent une cuisine inventive : Roberta Sudbrack (chef du restaurant éponyme à Rio de Janeiro et ex-chef du palais présidentiel), Helena Rizzo (qui a remporté le prix Veuve Clicquot de Meilleure femme chef du monde 2014 pour son restaurant Mani à São Paulo), Alberto Landgraf (Epice), Bel Coelho (ex-chef du Dui), Thiago et Felipe Castanho (Remanso do Bosque à Belém), entre autres… "Grâce à la prise de conscience des jeunes chefs de cet héritage incroyable, la grande cuisine brésilienne est en train de naître", conclut Laurent Suaudeau.


Publié par V. B.



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