“Il faudra vous habituer à vivre avec l’unique salaire de votre femme”, s’est entendu dire Thierry Claudios, membre de l’Organisation du personnel de la restauration dans l’événementiel (OPRE), par un agent de Pôle emploi auprès duquel il s’inquiétait d’être exclu de l’allocation de fin de droits et même du RSA. Sous le coup des réformes (Pôle emploi, prud’hommes...) et d’aides aux conditions d’accès inatteignables, les sécurités inhérentes au statut salarié s’effondrent face à la crise. “Seuls 5 % des 70 000 intermittents de la restauration seront éligibles à l’aide de 900 € pendant trois mois, s’indigne François Roux, membre fondateur de l’OPRE. Soumise à une activité d’au moins 60 % d’un temps plein en 2019, elle exclut ceux qui ont subi en 2019 les grèves de transport et les manifestations des gilets jaunes.”
En montagne, 120 000 saisonniers pourraient être emportés à leur tour par l’avalanche de mauvaises nouvelles. De plus, comme l’illustrent les 254 licenciements économiques au Méridien Etoile (Paris, XVIIe) ou les 192 au Hyatt Regency Paris Etoile voisin, les CDI ne protègent guère plus les salariés, même si le dispositif du chômage partiel aura été une véritable bouée de secours pour de nombreux patrons et travailleurs.
Salariés contre auto-entrepreneurs : une fracture sociale et générationnelle
Alors que les destructions d’emploi sont repoussées à l’extinction des aides avec des prévisions de 60 000 défaillances pour 2022, l’année 2020 aura vu éclore, contre toute attente, plus de 850 000 créations d’entreprise. Ce record historique, en dépit de deux mois de confinement, est porté par l’auto-entreprenariat. “Les jeunes ne parlent plus de carrières. Signer un CDI à 20 ans pour ressortir de la même entreprise à 60 est une chimère. En outre, plus personne n’accepte les salaires médiocres en coupure. La crise est un accélérateur d’un phénomène qui existait avant”, constate Bernard Boutboul, du cabinet Gira. L’expert note aussi l’appétence des jeunes hôteliers pour la liberté offerte par le statut d’auto-entrepreneur. Et si les jeunes plébiscitent ce statut pour mettre le pied dans un monde du travail verrouillé, les salariés s’y intéressent aussi : un auto-entrepreneur sur cinq est en CDI ou en CDD, voire parfois retraité.
“Les plus de 40 ans s’accrochent aux salaires car ils ont acquis des droits et espèrent encore obtenir une pension. Si vous parlez de retraite à un jeune, il va vous rire au nez”, constate Nadia Hamida, de l’agence Nadia Cyrille, qui fournit du personnel de restauration et observe la montée en puissance des auto-entrepreneurs. “Le risque de requalification de ces collaborations expose les employeurs à des désagréments”, prévient pourtant la recruteuse. Ce que contestent certaines plateformes de mise en relation qui s'appuient sur un arrêt de la Cour de cassation du 12 novembre 2020 . Toutefois, s’emporte François Choux, “Les auto-entrepreneurs facturent le net de nos salaires. C’est du dumping social !”
Des factures plutôt que des feuilles de paye
Les patrons n’auront pas eu droit au chômage partiel mais devront rembourser des PGE. Ceux qui seront présents à la réouverture s’embarrasseront, avant toute chose, de la survie de leur entreprise. Le recours aux CDI, CDD, intérimaires, voire au portage pourrait se révéler un luxe désuet face à l’aubaine des auto-entrepreneurs : plus de DPAE, de feuilles de paye, de charges patronales.
"Nous avons 400 indépendants en fichier, dont un quart remplissaient des missions de remplacement d’hôteliers ou de restaurateurs, avant la crise. Nous leur demandons une attestation de vigilance de l’Urssaf, un extrait de casier judiciaire et une RCP pro. S’ils souscrivent à la prévoyance que nous avons négociée, leurs protections se rapprochent de celles d’un salarié” , explique Anthony Labussière, cofondateur de Teodym, une plateforme de gestion transitoire en avance sur le recours aux indépendants dans les CHR.
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Publié par Francois PONT