Au début du XXe siècle, Anatole France s'exclamait : "Je pardonne à la République de gouverner mal car elle gouverne peu." S'il est difficile de considérer qu'elle gouverne mieux aujourd'hui - les déficits abyssaux de nos finances publiques en attestent quotidiennement, hélas ! - la République s'est néanmoins mis en tête de gouverner beaucoup. Certes, quand Michel Debré créa l'ENA en 1945, il avait précisément pour objectif de mettre la République au service du citoyen en formant les plus brillants élèves à la conduite des affaires de l'État. Brillants, ils le sont de plus en plus, mais avec une tendance appuyée à se mêler des moindres faits et gestes de chacun.
À la décharge de nos hauts fonctionnaires, il faut constater que les politiques, même s'ils sont passés par la rue des Saints-Pères, ont pris l'habitude de demander aux serviteurs de l'État d'intervenir jusque dans les détails de la vie quotidienne. Et depuis des décennies, qu'il s'agisse de la sécurité routière, du code du travail, des assurances scolaires, des adductions d'eau ou de la gestion des plages en passant par la couleur des lampadaires, la pêche à la mouche ou les cartes de restaurants, notre irrépressible penchant à la normalisation fait d'abord le bonheur des éditeurs juridiques et des avocats.
Ainsi, le projet de réglementation des cartes de restaurants dont vous lirez les développements en page 30 de ce numéro. La louable intention du député Fernand Siré, élu du peuple dont l'accent évoque irrésistiblement les produits du terroir, les anchois de Collioure et les vins du Roussillon, s'est rapidement transformée en une construction juridique de plus en plus complexe, difficilement compatible avec la simplicité qui doit caractériser l'information du client. Il est évident que le consommateur est en droit de connaître l'origine des produits et le mode de préparation de ce que lui propose un restaurant.
Il n'est pas certain qu'il soit soucieux de savoir si le jambon vient de Bretagne ou du Périgord, pas plus qu'il n'est forcément convaincu par la mention du mode de conservation des épices.
Un juste équilibre s'impose entre d'indispensables normes et règles professionnelles, que la puissance publique a la responsabilité de faire respecter, et des excès de réglementation qui affaiblissent la plus solide des codifications.
Publié par L. H.