Comment convaincre les jeunes de choisir les métiers de service ?

Ils sont étudiants, enseignants ou directeurs de restaurant et ont accepté de revenir sur le début de leur parcours dans les métiers de la salle. Ils partagent souvenir et anecdotes, racontent comment ils ont opté pour cette belle filière qui glorifie le travail de la cuisine. Et pourquoi ce choix a été le bon. Témoignages.

Publié le 23 janvier 2013 à 17:36

 Charles-Henri Moëc, apprenti maître d'hôtel au Plaza Athénée à Paris (VIIIe), meilleur apprenti de France 2010 et président de l'association des MAF

L'Hôtellerie Restauration : Pourquoi avoir choisi le service en salle ?

Charles-Henri Moëc : J'ai eu une révélation suite à un stage en classe de 4e, au restaurant l'Arlequin à Arradon, dans le Morbihan. Cette expérience a la fois humaine et professionnelle m'a donné une perspective d'avenir. Les dirigeants de ce restaurant, M. et Mme Caradec, ont su trouver les mots justes me concernant. Tous leurs conseils et leurs remarques avaient tellement de sens... C'était la première fois que l'on commentait positivement mon travail et que l'on m'encourageait, même et surtout, dans les moments difficiles. Je ne savais pas encore que je pouvais prendre du plaisir à travailler. Ils me l'ont enseigné. Depuis, j'ai envie de bien faire. Une passion pour mon métier est née. Elle me porte et me permet de franchir les étapes les unes après les autres.

Pouvez-vous nous raconter anecdote ?

Beaucoup de personnes m'avaient déconseillé de venir travailler à Paris. Je suis un jeune de province, ils pensaient que j'allais être exploité, que j'allais porter des centaines de plateaux et nettoyer des milliers de verres et de couverts. Innocemment, j'ai interrogé mon futur directeur de salle Denis Courtiade. Sa réponse ? "Charles-Henri, des plateaux, oui vous allez devoir en porter. Des couverts ? Oui, vous allez devoir en nettoyer… et beaucoup ! Mais il ne tient qu'à vous d'apprendre et de comprendre rapidement afin de passer très vite ces étapes." Avec le temps, j'ai compris qu'il fallait avoir des bases solides et ne pas chercher à brûler les étapes. Pour gravir les échelons, il faut se montrer disponible, curieux, être à l'écoute et patient. Il est très important d'apprendre de son entourage professionnel, tout absorber et tout retenir.

Pouvez-vous évoquer un souvenir qui prouve que vous avez fait le bon choix ?

Lors d'un déjeuner, un client que je servais est venu me voir en fin de repas et m'a dit : "J'ai pris beaucoup de plaisir à déguster tous les mets que le chef a eu la gentillesse de me préparer, mais je dois vous avouer une chose… j'ai pris beaucoup plus de plaisir à vous voir me les servir." Ses encouragements m'ont aidé et rassuré au moment de concourir pour le titre de meilleur apprenti de France.

 

Éric Rousseau, directeur du Relais Bernard Loiseau à Saulieu (21)

L'Hôtellerie Restauration : Pourquoi avoir choisi le service en salle ?

Éric Rousseau : Il me revient en mémoire une discussion que j'avais eue avec une de mes tantes. Elle m'avait parlé d'hôtel, de restaurant, et des métiers de la salle. C'était une période où, après mon cursus scolaire, il fallait que je choisisse une orientation professionnelle. Elle a su me convaincre et surtout, me donner envie. La profession indique assez clairement le chemin que nous devons parcourir afin de gravir les échelons.

Pouvez-vous nous raconter une anecdote ?

Le 20 août 1981, je me présente à l'hôtel-restaurant La Côte d'or, à Saulieu, établissement de grande renommée. J'avais pour objectif d'y rester une année afin de renforcer mon curriculum vitae. En entrant dans l'établissement, j'ai rencontré le jeune chef Bernard Loiseau. Il avait le sourire amusé de me voir là, dans mon costume-cravate de premier de la classe. À la fin de l'entretien, il me dit : "Alors Petit, tu t'es fixé comme objectif de rester un an avec nous ? On en reparlera." J'y suis depuis trente-deux ans...

Quel a été le déclic ?

Mon parcours a été classique : école hôtelière à Semur-en-Auxois, CAP, saisons d'hiver à Courchevel au Bellecote avec Roger Toussaint, le propriétaire. Je me suis senti dans mon élément. La rencontre avec monsieur Toussaint a été décisive. Il aimait recevoir, avait le sens de la fête, veillait au plaisir de ses hôtes. Il m'a fait comprendre que pour exercer ce métier, qu'il fallait aimer les gens, qu'ils soient clients ou collaborateurs. Après cette belle rencontre, j'étais convaincu que ma carrière se ferait dans un métier où la relation de service est essentielle. Quel privilège de recevoir, de partager, d'offrir du bonheur à des clients, habitués ou de passage.

Pouvez-vous évoquer un souvenir qui prouve que vous avez fait le bon choix ?

Depuis quelques années, je transmets mon savoir dans les écoles hôtelières de la région, et j'aime à dire aux plus jeunes que nous devons nous considérer comme des marchands de bonheur, et non des serfs, servants ou serviteurs. Ceux qui nous voient de la sorte sont des ignorants qui ne connaissent pas notre métier et n'en mesurent pas toute l'importance. Le message que j'adresse aux futurs professionnels est simple : n'ayez aucun doute, notre profession vous amènera à faire de très belles rencontres. Vous vivrez des expériences humaines et des satisfactions profondes qui vous feront grandir. Vous vous réaliserez en tant qu'acteur, animateur et formateur, et vous serez toujours ouvert sur le monde.


Adeline Morin, étudiante en 3e année de licence en management international de l'hôtellerie et de la restauration à l'Institut Paul Bocuse à Écully (69)

L'Hôtellerie Restauration : Pourquoi avoir choisi le service en salle ?

Adeline Morin : La restauration était pour moi une évidence, une passion depuis mon plus jeune âge. Mon père étant petit-fils de restaurateur, il souhaitait que je connaisse mieux ce secteur avant de m'y engager. Après deux stages au cours de mon année de terminale, j'ai intégré l'Institut Paul Bocuse à Écully afin de préparer une licence en management international de l'hôtellerie et de la restauration. Une licence qui, outre les compétences managériales, nous apprend les valeurs fondamentales du milieu.

Quel a été le déclic ?

Des professionnels de la restauration et des professeurs m'ont convaincue de progresser dans le milieu du service en salle. Lors de mon premier stage chez Jacques Chibois, j'ai mis en pratique mes connaissances et amélioré ma rapidité et mon organisation à travers la tradition méditerranéenne. Je voulais ensuite découvrir l'excellence au plus haut niveau, la quintessence de la restauration. C'est alors que Philippe Rispal, responsable des stages, me propose d'intégrer un lieu où chaque détail a une importance, où le hasard n'existe pas : Alain Ducasse au Plaza Athénée. Un restaurant 3 étoiles au guide Michelin, une rencontre avec Denis Courtiade, un environnement privilégié, une équipe soudée... autant d'éléments qui ont rendu ce stage inoubliable et passionnant. Des expériences courtes mais qui ont forgé mon identité professionnelle. Mon métier ne se résume pas à porter des plateaux ou poser des assiettes. On nous demande de développer notre sens du détail, de la logique, d'avoir une connaissance des produits importante, d'être sincère avec les clients et surtout de ne pas faire du général.

Pouvez-vous nous raconter anecdote ?

Je me souviens d'une personne qui souhaitait tout simplement une salade verte alors que les tables voisines dégustaient des mets à base de langoustines ou de caviar. Le luxe, pour ce client, était tout simplement de passer un moment dans une salle sublime en mangeant une salade. Notre rôle est de rendre ce moment inoubliable même avec une salade verte. L'expérience permet de comprendre le service et de ressentir ce qu'attend notre invité. Ce sont ces rencontres avec des professionnels qui alimentent au fil du temps ma passion pour mon métier.

 

Patrick Chauvin, chef des travaux et responsable secteur hôtelier au lycée Albert De Mun (Paris VIIe), Meilleur ouvrier de France 2007

L'Hôtellerie Restauration : Pourquoi avoir choisi le service en salle ?

Patrick Chauvin : Bien des qualités sont nécessaires : endurance, abnégation, sens du beau et du bon, savoir diriger une équipe, être à l'écoute… Des qualités que nous retrouvons dans la plupart des métiers de l'artisanat. Rendre un repas agréable, voir inoubliable, en dehors des seules considérations culinaires, est un véritable challenge et une grande valeur ajoutée pour un établissement. Ce métier est difficile et délicat mais tellement enrichissant pour qui sait en saisir les subtilités et partager son envie. Les métiers de la salle demeurent plus que jamais un formidable ascenseur social lorsque le jeune acquiert un bagage suffisant. C'est l'un des rares secteurs d'activité où la demande n'est pas comblée par l'offre !

Comment vous est venue la passion du métier ?

C'est en regardant un reportage sur le pâtissier Gaston Lenôtre, au début des années 1980, que j'ai eu le déclic. Je voulais cuisiner, faire de la pâtisserie. Certainement le souvenir de mes deux grands-mères qui rejaillissait. Elles tenaient respectivement le café du village et une épicerie comme on n'en fait plus. J'étais toujours dans leurs jupes, transportant des caisses vides, débarrassant des tables, goûtant des fruits et des produits disposés sur les étagères. Puis, tout en continuant à aimer la cuisine, je me suis découvert un réel attrait pour le monde de la salle. Dresser une table, aller vers l'autre, devoir effacer sa timidité et prendre sur soi. Comprendre pourquoi un accord est judicieux et un autre ne l'est pas. Aimer par-dessus tout l'idée que l'on peut transformer un moment purement fonctionnel, le repas, en un moment d'exception inoubliable. Inutile d'en faire trop, juste de la sincérité, du partage, de l'écoute et toujours cette envie de faire le maximum tout en restant en retrait. L'envie efface de beaucoup la pénibilité. Le travail en équipe, l'apprentissage permanent, la possibilité d'évoluer et de progresser tout au long de sa carrière font que notre métier est, pour beaucoup d'entre nous, plus qu'une profession : c'est un véritable moyen d'expression et d'épanouissement.

Avez-vous une anecdote à nous raconter ?

Au début des années 1990, au restaurant le Louis XV, à Monte-Carlo, je découpais un canard sauvage pour un couple d'Américains qui n'en perdait pas une miette. Au moment de servir les assiettes dressées, le monsieur me prend par le bras et me dit : "Vous avez découpé ce canard comme un très grand chirurgien. Rapide, précis avec une parfaite connaissance de son anatomie. Merci pour ce moment." J'ai été surpris et circonspect de cette remarque. Au moment de leur départ, alors que je les saluais, la dame m'a glissé à l'oreille que son mari était l'un des plus grands chirurgiens américains en activité, venu assister à un colloque à Monaco. Dans ce lieu, hautement prestigieux, bien d'autres moments furent importants. Tout particulièrement quand je percevais que des convives n'étaient pas du tout à l'aise, écrasés par le faste du décorum. Notre challenge était d'aller bien au-delà de leurs attentes afin de leur rendre la soirée exceptionnelle et inoubliable.

 

Corinne Hacquemand, professeur de restaurant au lycée des métiers Hyacinthe Friant de Poligny (39)

L'Hôtellerie Restauration : Quel constat faites-vous sur les métiers du service en salle ?

Corinne Hacquemand : Il n'est pas simple de combattre les stéréotypes liés à nos métiers de salle. Ils sont bien ancrés et peut être même un peu, hélas !, dans notre mémoire collective, dans la grande confusion entre le service et la servilité. La médiatisation télévisuelle, tellement capable de toucher le vivier des jeunes collégiens et en vogue pour la cuisine, peut difficilement être salutaire pour nous. Lorsqu'un service se déroule parfaitement bien, lorsque le client n'a manqué de rien et que tout est arrivé à point nommé, sans aucune fausse note, sans aucune contrariété d'aucune sorte pour ce dernier, il n'y a justement rien à voir, rien à montrer, rien à médiatiser, pas de jolie photo artistique à faire. En cela, peut être, et pour celui qui chercherait les honneurs du devant de la scène, effectivement notre travail peut paraître ingrat. C'est à mon sens un travail d'ange gardien discret. Mais il est pourtant passionnant par bien des aspects. Je me sens bien loin du cliché du porteur d'assiettes.

Pourquoi avoir choisi le service en salle ?

Issue d'une formation polyvalente salle et cuisine, j'aimais aussi beaucoup la cuisine mais… même encore un peu timide, je préférais l'autre côté du passe et avoir le privilège d'assister aux premières loges au bonheur des autres et même d'en être un peu la garante. Cette double formation m'a pourtant été très utile dans mon métier pour reconnaître, comprendre et respecter le travail réalisé par la cuisine, collaborer avec le chef pour tout prévoir, tout anticiper, tout coordonner et mettre justement en avant son travail. À présent enseignante, j'essaie de transmettre ces valeurs à mes élèves, de leur faire comprendre ma philosophie du métier. Je ne cherche pas à les transformer en bons vendeurs, rois de la manipulation du client, ni en jongleurs de foire capables de porter huit assiettes à la fois ; j'essaie de leur faire percevoir cette satisfaction d'avoir rendu service, mais aussi d'avoir été un vrai professionnel, d'avoir su tout gérer au millimètre près, comme le ferait un artisan ou un chirurgien, sans jamais tomber dans la servilité parce que, "le service n'est servile que lorsque celui qui l'accomplit n'est pas un professionnel."

Pouvez-vous nous raconter une anecdote ?

Le service d'un petit banquet réalisé par une classe en fin de leur première année de formation : les clients présents ont été à ce point conscients de n'avoir manqué de rien, d'avoir été dorlotés, qu'ils ont applaudi la brigade de salle à la fin. Pour obtenir de tels remerciements, il faut qu'ils aient été très bons dans la maîtrise de leur futur métier, et ce jour là, ils l'ont été, sans conteste.

 

Frédéric Kaiser, directeur du restaurant gastronomique Épicure (Le Bristol, Paris VIIIe), Meilleur ouvrier de France 2011

Pourquoi avoir choisi le service en salle ? C'est à l'école hôtelière Raymond Mondon de Metz, en 1995, que j'ai pris conscience de ce que je voulais vraiment faire de ma vie professionnelle. Passionné de restauration, je pensais apprendre la cuisine avant tout. Mais lors de mes premiers travaux pratiques, de cuisine et de service en salle, je me suis rendu compte que le service me correspondait davantage. Servir des mets concoctés par la cuisine, observer le ressenti de la clientèle, prendre leurs commentaires, parler, échanger, partager des moments de convivialités et percevoir leurs émotions. Tout prenait son sens à mes yeux. Cette passion du service en salle n'a cessé de s'amplifier. Être le maillon indispensable entre le client et la cuisine, au-delà de la technicité et des connaissances à acquérir, c'est ce qui m'a le plus plu. J'étais le représentant du chef envers le client, et en même temps, le représentant du client auprès du chef.

Beaucoup de personnes pensent que notre métier se résume à être des porteurs d'assiettes. C'est parler sans savoir, sans connaître les différentes subtilités et aptitudes dont nous faisons acte au quotidien. Combien de chefs reconnaissent qu'ils ne pourraient jamais avoir la diplomatie nécessaire lors d'échanges avec des clients capricieux. Le personnel de salle est créateur d'ambiance, car c'est lui qui va apporter une atmosphère agréable où le client se sentira à l'aise et sera disposé à vivre un moment unique. Du commis de rang au responsable de salle, tout le monde a un rôle primordial et contribue au bonheur du client. Nous transmettons notre expertise et notre vécu à tous nos jeunes passionnés de gastronomie.

Pouvez-vous nous raconter une anecdote ?

Ma plus grande satisfaction, c'est quand un client me remercie d'avoir pris soin de lui. Je me souviens de ce couple qui venait fêter leurs noces d'or. Ils n'avaient jamais osé passer la porte d'une grande maison, alors qu'ils en rêvaient depuis des années. J'ai tout de suite brisé la glace avec une petite touche d'humour, en faisant tout mon possible pour qu'ils puissent se sentir chez eux. Toute la brigade de salle a été très attentive. Nous les avons chouchoutés, c'était très touchant. À la fin du repas, les larmes aux yeux, ces clients ont embrassé toute la brigade. Ils venaient de passer un moment magique. Depuis ce jour, alors que j'ai changé plusieurs fois de maisons, ces clients-amis ne manquent jamais une occasion de passer me voir.

Publié par Par Hélène Binet et Denis Courtiade, président de l'association Ô Service - des talents de demain



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