Il avait la faconde, le charisme, l’intelligence et l’allure. André Daguin a aussi eu deux vies. La première consacrée au Gers, la seconde au syndicalisme patronal. Et trois passions, le rugby, la cuisine et les gens. Il n’aurait pas réussi le parcours qui a été le sien sans le soutien infaillible de son épouse Jocelyne, Jo pour les intimes, rencontrée à l’Ecole hôtelière de Paris (Jean Drouant) et dont elle livre ce premier souvenir : « un grand gaillard assis sur un banc dans la cours, un peu perdu ». Le jeune gascon venait de débarquer dans la capitale après avoir commencé des études de droits, perturbées par le ballon ovale mais surtout par la nécessité de reprendre L’Hôtel de France, l’établissement familial tenu à bout de bras par sa mère depuis le décès de son père, en 1946. La promotion 1956 terminée, il revient au bercail. Jo le suit.
Lou magret
Débute l’aventure avec, notamment, cette curiosité à sa carte un Lou Magret ; jamais personne n’avait avant lui utilisé le maigre du canard élevé pour son foie gras. C’est avec les producteurs qu’il réfléchit à la manière de rendre la viande propre à la consommation. André Daguin est bien l’inventeur du magret de canard. Et sa spécialité, grillée sur braise, servie avec une sauce au poivre, sera découverte par un journaliste américain qui la dévoilera au monde entier outre Atlantique. En 1960, le guide Michelin va lui octroyer sa première étoile et en 1970 sa deuxième. Entre temps, le chef ne se contente pas de rester derrière ses fourneaux, il voyage, fait la promotion, avec trois autres cuisiniers, ses complices, des produits de leur terroir jusqu’à la coopérative viticole de Plaimont. On les surnomme les Mousquetaires. Et ça fonctionne, aux Etats Unis comme en Europe. Il rapporte aussi dans ses bagages l'art de travailler les brocolis, rarement utilisés en France. L’Hôtel de France est devenu une institution. Les personnalités de tous bords y font étape, écrivains, acteurs, chanteurs, humoristes, politiciens… et son chef fait des émules. Jean-Pierre Biffi, auscitain de naissance, longtemps directeur des cuisines de Potel et Chabot, évoque ce souvenir. « J’étais gamin et je voulais être cuisinier. Ma maman m’a alors emmené voir ‘Monsieur Daguin’, qui faisait du foie gras aux langoustines… » Le plus étonnant, c’est que 35 ans plus tard, les deux hommes se rappelaient de ce moment.
Rue d’Anjou
Cette propension l’amène à intégrer le bureau de la Fédération nationale de l’industrie hôtelière (FNIH) du Gers et gravir les échelons, jusqu’à devenir président national des restaurateurs de l’organisation patronale. En 1996, les dépôts de bilan de CHR traditionnels se multiplient. La restauration à consommer sur place est assujettie au taux de TVA normal alors que la restauration à emporter bénéficie du taux réduit. André Daguin en fait son cheval de bataille. En 1997, la FNIH doit élire ses nouveaux représentants, année marquée le 30 avril par la signature de la convention collective des hôteliers, restaurateurs, cafetiers après 20 ans de négociations. Le gersois se porte candidats à la présidence nationale de la FNIH aux côtés du président national des cafetiers, Jean Biron. Le tandem l’emporte avec plus de 77% des votes et prend ses fonctions dans un contexte social difficile (les représentants des salariés contestent la convention collective). En interne, plusieurs camps s’affrontent. Et pourtant «il fera de la Fédération un théâtre, où il tiendra dès la première minute le rôle titre. Son registre s’étend de l’humour à la brusquerie, en passant par tous les stades de la gravité, du doute, de la bonne et de la mauvaise foi, sans oublié celui de la conviction » résume avec justesse Bathélémy, dans son ouvrage Les Mémoires de l’Umih. Le chef, c’est Daguin, il est le porte-parole inespéré et tant attendu d’une filière. En 1999, la FNIH, auquel le Groupement national des chaînes est associé, est rejoint par des départements dissidents d’un autre syndicat d'indépendants et devient l'Umih (Union des métiers et des industries de l'hôtellerie).
Médiatisation
Sous sa gouverne, les restaurateurs battent le pavé, allant jusqu’à organiser une manifestation escargot qui traverse la capitale et investir l’Arc de Triomphe pour annoncer « la grève de la TVA ». Daguin affiche sa détermination et obtient une enveloppe de l’Etat d’1,5 milliard d’euros en 2004 sur les charges sociales en attendant la baisse de la TVA refusée par l'Europe. Mener le jeu, c’est aussi donner à ses troupes de nouveaux outils. En 2006, avec l’aide du député du Vaucluse, Thierry Mariani, le Permis d’Exploitation est adopté par le parlement. Une formation sera désormais obligatoire et spécifique pour tout nouvel exploitant (licence 2, 3 et 4 et licence restaurant). Un pas vers la modernité, la professionnalisation des exploitants et la sécurité affirme l’organisation professionnelle qui crée dans la foulée son centre de formation dédié. Ralliement, financements nouveaux, l’Umih avance. Son chef de file est partout, reconnaissable à son béret et son accent. Le micro lui va parfaitement. Il fait la joie des auditeurs de l’émission des Grandes Gueules sur RMC. Après trois mandats, il passe la main en 2008. Sa succession à la tête de l’Umih est mouvementée. Et, calendrier oblige, il ne signera pas le contrat d’avenir, dont il était pourtant l'initiateur et qui conduira à l’obtention de la baisse de la TVA en restauration en 2009. André Daguin avait bien sûr des détracteurs, qui le qualifiaient généralement de bateleur ou d’opportuniste. Une certitude, c'était un chef, qui a incarné toute la profession et qui va nous manquer. A son épouse, Jocelyne, à ses enfants et petits enfants, nous adressons nos sincères condoléances.
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Publié par Sylvie SOUBES